L’Almanach international
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15 octobre : la Tunisie commémore l’évacuation de Bizerte
Le départ du dernier soldat français le 15 octobre 1963 a été célébré par des milliers de Tunisiens comme l'aboutissement de l'indépendance totale de la Tunisie. Le président de la République, Habib Bourguiba en avait fait aussitôt une fête nationale célébrée chaque année depuis 1964
Le départ du dernier soldat français le 15 octobre 1963 a été célébré par des milliers de Tunisiens comme l'aboutissement de l'indépendance totale de la Tunisie. Le président de la République, Habib Bourguiba en avait fait aussitôt une fête nationale célébrée chaque année depuis 1964. En 2024, c’est la 60e édition de la Fête de l’évacuation (عيد الجلاء). Cette célébration colle parfaitement avec le discours du dictateur, le président Kaïs Saïed qui, constamment, explique que l’origine des malheurs de la Tunisie est à chercher à l’étranger.
Cette évacuation est d’abord vue comme une revanche sur ce jour de 1881 où le général français, Aimé Bréart, en provenance de Toulon, débarquait avec 8000 hommes et parvenait à contraindre le Bey de Tunis de signer le traité du Bardo qui ratifiait la fin de l’indépendance du pays.
Dans les accords du 3 juin 1955 sur l'autonomie interne de la Tunisie, prélude à l’indépendance du 20 mars 1956, il était stipulé que la France gardait deux "zones de sécurité" (en fait des bases militaires), une au sud et l’autre à Bizerte, à l'extrême nord du pays. Sous couvert de défendre le passage entre Méditerranée occidentale et orientale, dans un contexte de guerre froide, la France tenait surtout à surveiller une Algérie dont elle n’envisageait pas encore l’indépendance.
Le président Bourguiba, père de l’indépendance, était perçu par ses pairs comme trop pro-occidental, en raison de ses bonnes relations avec les États-Unis. Il voulut infléchir cette réputation en s’attaquant à la présence française à Bizerte, mais la réaction du général de Gaulle fut d’une telle violence face à une armée tunisienne encore très modeste, que la bataille de Bizerte, en juillet 1961, fut un véritable carnage y compris au sein de la population civile : quelque 650 morts et 1560 blessés militaires et civils, contre 25 morts, côté français. Comme beaucoup de victoires militaires basées sur une telle disproportion, la victoire politique ira aux vaincus des armes. La France devra se résoudre à quitter Bizerte deux ans plus tard, la base était, d’ailleurs, devenue bien peu utile à présent que l’Algérie était parvenue à arracher son indépendance.
Le 15 octobre 1963, l’amiral Vivier quittait Bizerte, escorté par deux patrouilleurs tunisiens, Destour et Djamhuriya. Des réjouissances furent organisées, en présence de dirigeants égyptiens et maghrébins, pour fêter la victoire du peuple tunisien et le départ du dernier symbole du colonialisme. Depuis le retrait des troupes françaises du territoire tunisien en 1958, Bourguiba n’avait cessé de revendiquer l’achèvement de la décolonisation par l’évacuation de la base navale.
Ce mardi, le Carré des martyrs, à Bizerte, accueille la cérémonie de commémoration du 61e anniversaire de l'évacuation, en présence du président de la République, Kaïs Saïed. Celui-ci salue le drapeau au son de l'hymne national, après avoir déposé une gerbe de fleurs au pied du mémorial des martyrs et récité la Fatiha.
Un article de l'Almanach international des éditions BiblioMonde, 15 octobre 2024
13 août : la Journée de la femme en Tunisie
Le jour est férié en Tunisie. La date du 13 août correspond à l'anniversaire de la promulgation du Code du statut personnel en 1956. Hélas, l’interprétation du Coran par Kaïs Saïed est bien plus conservatrice que celle de Habib Bourguiba dont on célèbre aujourd’hui l’action de manière rituelle.
Le jour est férié en Tunisie. La date du 13 août correspond à l'anniversaire de la promulgation du Code du statut personnel en 1956. Ce CPS, voulu par le président de l’époque, Habib Bourguiba, est entré en vigueur le 1er janvier 1957. Ce code était le plus avancé à l’époque dans un pays musulman. Il abolissait la polygamie, créait une procédure judiciaire de divorce et prévoyait que le mariage ne pouvait être célébré qu'avec l'accord mutuel des deux parties. Ce code a ensuite été amélioré en 1993 en abolissant une partie du Code relative au devoir d’obéissance de l’épouse envers son mari. Le président Ben Ali a également révisé le Code de la nationalité, permettant ainsi aux mères tunisiennes de transmettre leur nationalité aux enfants nés hors de Tunisie, quelle que soit la nationalité du père. Cette mesure était sans précédent dans les pays à majorité arabo-musulmane de l’époque. La réforme de 1993 a également accordé la tutelle automatique des enfants à la mère en cas de divorce. Toutefois, elle n’a pas modifié le statut de la mère dans l’institution familiale, le mari étant toujours considéré comme le « chef ».
Le 13 août, la Tunisie célèbre la Journée nationale de la femme (اليوم الوطني للمرأة), mais cette journée se déroule toujours dans un contexte d’inégalité. Malgré les efforts des féministes et des militants des droits de l’homme, les femmes tunisiennes ne peuvent toujours pas accéder à l’égalité successorale (la part des frères est le double de celle de leurs sœurs). Kaïs Saïed, le président actuel, qui est en train d’imposer sa dictature au pays, y est formellement opposé. Depuis 1956, les mentalités ont, hélas, bien régressé à l’égard du statut de la femme tunisienne. La nouvelle constitution est moins laïque que la précédente et l’interprétation du Coran par Kaïs Saïed est bien plus conservatrice que celle de Habib Bourguiba dont on célèbre aujourd’hui l’action de manière rituelle.
Un article de l'Almanach international des éditions BiblioMonde, 13 août 2024
17 décembre : vers la chute d’un dictateur tunisien et l’installation d’un nouveau
Le 17 décembre 2010, Mohamed Bouazizi, un jeune marchand de fruits, s’immolait sur la grande place de Sidi Bouzid. Ce geste de désespoir aboutira à la chute du dictateur… Le 17 décembre 2022, parait comme la dernière étape de la mise en place d’une nouvelle dictature. Au lendemain de l’élection législative de ce jour, une fois la presse muselée, le président Kaïs Saïed aura les coudées franches pour imposer sans limite son pouvoir personnel.
La date du 17 décembre est désormais celle de la Fête de la Révolution (عيد الثورة), ainsi en a décidé il y a un an le président Kaïs Saïed. Elle remplace le 14 janvier qui n’est plus un jour férié. Cette dernière date avait le désavantage aux yeux du chef de l’État de commémorer le renversement du président Ben Ali, en 2011. Kaïs Saïed dont le régime est de plus en plus autoritaire craint ce genre de référence. D’autant, qu’aujourd’hui des cadres du régime de Ben Ali ont refait surface au premier plan. Ne pouvant gommer la mémoire du Printemps arabe qui, en Tunisie, avait suscité tant d’espoir, le jour férié a été transférée au 17 décembre, une date commémorant l’étincelle qui déclenchât le renversement du régime honni.
Il y a douze ans, le 17 décembre 2010, Mohamed Bouazizi, un jeune marchand de fruits à la sauvette, s’immolait sur la grande place de Sidi Bouzid, bourgade déshéritée de la Tunisie profonde. La police lui avait confisqué son chariot et sa balance sans lesquels il ne pouvait plus travailler et donc survivre. Il mourra 18 jours plus tard à l’hôpital. Ce geste désespéré face un système qui ne lui offrait aucune issue, avait provoqué un mouvement de colère qui allait très vite se muer en manifestation politique contre le régime du président Ben Ali, basé sur la corruption et la répression. Le dictateur, après 23 ans de règne, finira par quitter le pays le 14 janvier 2011. C’était la date qui était fêtée jusqu’en 2020.
L’émotion avait été forte dans le monde après l’annonce de cette immolation. En 2011, Mohamed Bouazizi a reçu le prix Sakharov à titre posthume, la ville de Paris lui a dédié une place dans le 14e arrondissement, Time magazine en a fait la personnalité de l’année, le Canada a même donné asile à sa famille… À l’image d’un Jan Palach, Mohamed Bouazizi est devenu le symbole d’une révolution à laquelle il n’a pas participé. Toutefois, même s’il a eu droit à une statue dans sa ville natale, la Tunisie n’en avait pas fait un symbole. Le 19 décembre, jusqu’en 2021 n’était célébré que localement.
La Tunisie où tout avait démarré est aussi le seul pays où le Printemps arabe a donné des résultats. Des élections démocratiques ont permis le renouvellement de la classe politique, même si des tenants de l’ancien régime comme la très conservatrice Abir Moussi, sont revenus sur le devant de la scène. Le pluralisme politique a commencé à s’imposer, dans un contexte très chaotique où les islamistes ont joué les perturbateur mais sans chercher à confisquer le pouvoir. Cette marche vers la démocratie la démocratie est aujourd’hui stoppée net par l’austère président Kaïs Saïed, élu sur un programme anti corruption. La page du Printemps arabe s’est refermée le 25 juillet 2021 par le coup de force du Président contre le Parlement élu démocratiquement. La deuxième étape a été le changement de la constitution, le 25 juillet 2022, afin d’assurer son pouvoir personnel. Pour boucler le tout, des élections législatives ont été placées ce 17 décembre pour élire un nouveau parlement sans pouvoir réel, comme du temps du dictateur Ben Ali. Le scrutin est boycotté par l’opposition, laquelle n’a d’ailleurs plus guère l’occasion de s’exprimer tant la répression prend de l’ampleur.
Choix cynisme du président tunisien : ce 17-Décembre qui commémore le sursaut qui a permis de faire tomber une dictature, fera date comme celui où une nouvelle dictature se sera mise en place. Au lendemain de l’élection de ce 17 décembre 2022, une fois la presse muselée, le président Kaïs Saïed aura les coudées franches pour imposer son pouvoir personnel. Compte tenu de son âge, les Tunisiens peuvent espérer que sa dictature ne dure pas 38 ans comme celle de Ben Ali.
En mai 2020, l’Union européenne a créé un « Prix Lina Ben Mhenni pour la liberté d’expression ». La journaliste bloggeuse, aujourd’hui décédée, avait été la première à couvrir les événements de décembre 2010 et de janvier 2011 à Sidi Bouziz, à diffuser des photos, à dresser des listes de victimes de la répression policière… Cette année, en 2022, le prix est attribué à quatre journalistes tunisiennes : Issa Ziadia, Sana Adouni, Mabrouka Khedir et Bahira Ouji. Ce prix pourra-t-il continuer à être décerné dans un pays a fortement régressé surtout depuis le coup de force du 25 juillet et un décret présidentiel prévoyant une peine de prison de cinq ans et une amende de 50 000 dinars (plus de 15 000 euros) pour toute personne « qui utilise délibérément les réseaux de communication et les systèmes d’information pour produire, promouvoir, publier ou envoyer de fausses informations ou des rumeurs mensongères ». En novembre 2022, un chef de parti politique critique envers Saied est empêché de quitter la Tunisie. La police ouvre une enquête sur un journaliste pour un article critique envers le Premier ministre…
Mise à jour 18 décembre 2022 : Les élections législatives ont d’enregistré le plus faible taux de participation de l’histoire récente du pays : seulement 8,8 % du corps électoral s’est rendu aux urnes ! L’opposition estime que Kaïs Saïed a “perdu toute légitimité” et appelle la population à manifester pour exiger une nouvelle élection présidentielle.
Un article de l'Almanach international des éditions BiblioMonde
14 janvier : en Tunisie, une révolution peut en cacher une autre
En Tunisie, c’est jour férié, pour se réjouir de la chute du dictateur, le président Zine el-Abdine Ben Ali, le 14 janvier 2011. Au pouvoir depuis 1987, Ben Ali a été emporté par la révolution de Jasmin
En Tunisie, c’est un jour férié, un jour pour se réjouir de la chute du dictateur, le président Zine el-Abdine Ben Ali, le 14 janvier 2011. Au pouvoir depuis 1987, Ben Ali a été emporté par la révolution de Jasmin, un soulèvement populaire non violent qui a débuté le 17 décembre 2010. Débordé par la foule, il s’est piteusement enfui en Arabie saoudite avec sa femme et ses enfants. Il y est mort en septembre 2019. Depuis 2012, le 14 janvier est un jour de fête nationale en Tunisie connu sous le nom de Fête de la Révolution et de la Jeunesse (عيد الثورة و الشباب). À ne pas confondre avec la Fête de la révolution qui était jadis célébrée chaque 18 janvier.
Le 18 janvier, sous le président Habib Bourguiba, on fêtait la « révolution de 1952 ». Cette Fête de la Révolution (عيد الثورة ) commémorait le lancement de la guérilla contre les autorités françaises en 1952. Laquelle aboutira à l'indépendance du pays en 1956 et à l’arrivée au pouvoir par le Parti destourien qui dirigera le pays pendant plusieurs décennies. Cette date, a été ensuite occultée par le 7 novembre, date à laquelle le président Ben Ali avait destitué Bourguiba et dont il avait fait une fête nationale (elle le fut de 1988 à 2010). Aujourd’hui, avec la Révolution du 14 janvier qui a renversé ce même Ben Ali, la date du 18 janvier est bien oubliée sauf par quelques anciens ainsi que par le Parti destourien libre (PLD), un parti moderniste et anti islamiste, l’un des rares à cultiver la mémoire de cette date qui a été une fête nationale de 1956 à 1987 et du régime, celui de Bourguiba qu'elle symbolisait. Mais là où tout se brouille, c’est que ce parti (d’opposition) est aujourd’hui dirigé par Abir Moussi, une avocate très conservatrice qui a été une ancienne dirigeante du Rassemblement constitutionnel démocratique, le parti aujourd’hui dissous du dictateur Ben Ali, celui-là même qui avait renversé Bourguiba…
Beaucoup de Tunisiens ne savent plus vraiment, aujourd’hui, à quelle révolution se vouer. Cela dit, même si elle est peu lisible, au moins le pays connaît une vraie vie politique, avec des débats d'idées et des enjeux de pouvoir. Quel autre pays arabe peut en dire autant ? Voilà au moins un acquit de la révolution que l'on commémore aujourd'hui.
Mise à jour décembre 2021 : le 2 décembre 2021, le président Kaïs Saïed annonce que la révolution de 2011 qui avait déposé le régime de Ben Ali, sera désormais célébrée le 17 décembre de chaque année, au lieu du 14 janvier.
Mise à jour janvier 2022 : le 14 janvier 2022, alors qu’ils couvraient une manifestation dans le centre-ville de la capitale, Tunis, des journalistes ont été “passés à tabac” par des agents de police. Alors que cette date est un symbole de liberté. Des élections législatives controversées et boudés par les principaux partis politiques doivent se tenir le 17 décembre prochain.
Un article de l'Almanach international des éditions BiblioMonde
13 mars : la Tunisie célèbre la liberté de la Toile
Il y a 14 ans décédait d’une crise cardiaque à l’âge de 36 ans, Zouhair Yahyaoui, le plus célèbre des cyber-dissidents au régime du président Ben Ali…
Il y a 14 ans décédait d’une crise cardiaque, à l’âge de 36 ans, Zouhair Yahyaoui, le plus célèbre des cyber-dissidents au régime du président Ben Ali. Fondateur du journal en ligne Tunezine, il a sans relâche dénoncé la corruption et la répression du pouvoir tunisien de l’époque, jusqu’au jour de son arrestation par des hommes en civil dans un cyber café de la capitale. C’était en 2002, après un procès expéditif, il est condamné pour « propagation de fausses nouvelles ». Emprisonné pendant un an et demi, il est régulièrement torturé. Sa famille tout entière est persécutée et son journal fermé peu après sa mort. Usé par sa détention, il est mort le 13 mars 2005.
En 2012, sept ans après son décès, un an après la chute du dictateur, le président Moncef Marzouki, accompagne ses proches sur sa tombe. Zouhair Yahyaoui est décoré à titre posthume par l’État tunisien et le jour anniversaire de sa mort est décrété Journée nationale de la cyber-liberté. Au niveau international, une Journée mondiale contre la cyber-censure a été marquée hier, 12 mars. Elle a été créée en 2008 à l’initiative d’Amnesty International et de Reporters sans frontières. Elle vise plus particulièrement l'Arabie saoudite, la Birmanie, la Chine, la Corée du Nord, Cuba, l'Égypte, l'Iran, l'Ouzbékistan, la Syrie, la Turquie, le Turkménistan, le Vietnam.
Le 13 mars 3017, la poste tunisienne a émis un timbre à l’effigie de Zouhair Yahyaoui.
Un article de l'Almanach international des éditions BiblioMonde