L’Almanach international
Parce que chaque jour est important quelque part dans le monde
4 novembre : la Journée de l’unité du peuple russe, faute de celle des Slaves
Cette journée, tout en commémorant la libération de Moscou de l'occupation polonaise, en 1612, invite à penser que la Russie doit constamment se défendre face aux ennemis qui l’entourent et la menacent. Ce jour férié qui entretien cette paranoïa collective a aussi été instauré par Vladimir Poutine pour remplacer le 7 novembre.
Chaque épisode de la longue histoire russe est bon pour cultiver le sentiment d’un pays devant constamment se défendre contre des ennemis menaçant son intégrité. Aujourd’hui, c'est la Journée de l’unité du peuple (День народного единства), un jour férié qui commémore la libération de Moscou en 1612 et en même temps entretien une paranoïa collective propice au maintient au pouvoir de Poutine et son régime.
Instaurée en 2005 par Vladimir Poutine, cette journée a aussi pour but de renforcer l’identité nationale et de remplacer le jour férié du 7 novembre qui célébrait autrefois la révolution russe de 1917. Aujourd’hui, il faut également montrer qu’en dépit de l’enlisement de son armée en Ukraine ainsi que de l’affaissement économique et moral du pays, la Russie est toujours debout, n’en déplaise au monde entier.
Cette journée patriotique est avant tout un évènement culturel. Dans toutes les villes de Russie, ainsi que dans la Crimée occupée, le 4 novembre est une journée fériée permettant au peuple russe de profiter de spectacles, de visiter gratuitement les musées. À Moscou, c’est la traditionnelle Nuit des Arts, consacrée à l'Année du patrimoine culturel des peuples de Russie. Au total, plus de 160 événements dédiés à la fête ont lieu dans la capitale du 3 au 6 novembre.
Le 4 novembre 1612 (22 octobre selon le calendrier de l’époque) est une date connue de tous les écoliers. Ce jour-là, Moscou a été libéré de l’occupation polonaise par une milice populaire, dirigée par le chef de Nizhny Novgorod, Kouzma Minin et le prince de Novgorod, Dmitry Pozharsky. Après avoir chassé les Polonais du pays, les États généraux (Zemski Sobor) se sont réunis et, quelques semaines plus tard, vont élire Michel Romanov, tsar de toutes les Russies dont les descendants régneront sur le pays jusqu’en 1917.
Selon la légende, la milice russe serait entrée à Moscou, emportant avec elle l'icône de Kazan de la Mère de Dieu. Plus tard, en 1649, le tsar Alexei Mikhailovich fera du 4 novembre (22 octobre selon le calendrier julien) une fête religieuse et nationale, célébrée par l'Église orthodoxe russe et dédiée à Notre-Dame de Kazan, dont l'image est liée à la libération de la Patrie de l'envahisseur étranger. Des processions religieuses traditionnelles sont également organisées.
Enfin, cette journée du 4 novembre avait été, au fil des années, récupérée par tout ce que la Russie compte de partis ultranationalistes et xénophobes, de skinheads et autres néo-fascistes russes, qui y ont vu une occasion d'exprimer en toute légalité leurs idées extrémistes. Cette année, la fameuse Marche russe (Русский марш) qui traditionnellement marque la journée du 4 novembre a lieu à Kazan.
Un article de l'Almanach international des éditions BiblioMonde, 4 novembre 2024
12 juin : le Jour de la Russie, fête paradoxale, pur produit de la propagande
La Journée de la Russie est une invention récente. Elle commémore le jour où la Russie a proclamé sa souveraineté au sein de l’URSS, le 12 juin 1990. Autrement dit, elle célèbre ce que Poutine qualifie de « plus grande catastrophe géopolitique du siècle », c’est-à-dire la disparition de l’URSS ! La propagande du régime en a fait une fête à la gloire de la Russie éternelle.
C’est une fête totalement paradoxale qui se déroule aujourd’hui en Russie. La Journée de la Russie (День России) est une invention récente. Ce jour férié commémore le jour où la Russie a déclaré que, désormais, ses lois primaient sur les lois soviétiques. Certains en parlent même comme du “Jour de l’indépendance” (vis à vis de l’URSS).
En 1990, alors que l’URSS était confrontée à une série de déclarations de souveraineté, notamment celles des républiques baltes, la Russie proclamait la sienne le 12 juin 1990. Ce coup de pied de l’âne, de la part de la plus importante des républiques, n’a fait que précipiter la fin de l’URSS, dissoute le 25 décembre 1991.
L'année suivante, le 12 juin 1991, la Russie (la RSFSR) a organisé sa première élection présidentielle, remportée par Boris Eltsine. En 1994, ce dernier a déclaré le 12 juin fête nationale sous l’appellation de Jour de l’adoption de la déclaration de souveraineté de la RSFSR, devenue ensuite la Fête de la Souveraineté de la Fédération de Russie (День суверенитета РФ). Puis finalement sur l’ordre de Vladimir Poutine, simplement le Jour de la Russie. Le paradoxe, c’est de voir les Russes et le premier d'entre eux Vladimir Poutine fêter un vote et un jour qui a engagé le processus de désintégration de l'URSS. Alors que ce même Vladimir Poutine a qualifié la disparition de l’URSS de « plus grande catastrophe géopolitique du siècle », le 25 avril 2005, dans une adresse а l’Assemblée fédérale. En 2020, il a même fait noter dans la constitution russe que la Fédération de Russie s’inscrivait dans la continuité de l’URSS. Celle-la même dont on célèbre aujourd’hui la mise à mort ! On touche là toute l’ambiguïté d’un régime qui a totalement réhabilité le stalinisme, jusque dans les pratiques consistant à réécrire l’histoire, à éliminer les opposants, à étouffer toute contestation et bien sûr à intervenir militairement chez les pays « frères » qui lui résistent !
La veille du 12 juin 2017, l’opposant russe Alexeï Navalny, avait appelé à une manifestation d'ampleur dans toute la Russie pour le 12 juin. Celle-ci aura lieu, ce qui lui valut d’être emprisonné pour quelques semaines, mais il lui sera interdit de se présenter à l'élection présidentielle (on le sait, la démocratie n’a pas cours en Russie). La mobilisation des déçus du régime était chaque année, le 12 juin, plus importante. Dès l’année suivante, 4000 policiers ont été déployés pour l’occasion dans la capitale russe, des arrestations préventives ont été opérées les jours précédents dans les milieux d’opposition. Ce qui n’empêcha pas de grandes manifestations contre le président Poutine. D’ordinaire, un rassemblement se formait place Pouchkine et un défilé descendait l’avenue Sakharov… Mais, depuis cette époque, le régime s’est considérablement durci. Navalny a échappé à la mort, mais demeure en prison. Aujourd’hui, il n’est plus question de mobilisation de masse ni même de la moindre contestation individuelle. Poutine a totalement endossé le totalitarisme de l’ère soviétique.
Le régime et les médias entretiennent le flou complet sur la véritable signification de cette Journée de la Russie (12 июня День России) qui est avant tout, une occasion de plus de célébrer la grandeur de la Russie éternelle.
Les plus grandes célébrations ont lieu dans la capitale sur la Place Rouge à 17h00 avec un grand concert qui se termine par un feu d'artifice. De nombreux divertissements musicaux, théâtraux, sportifs sont organisés dans tous les quartiers de Moscou et les villes de provinces ainsi qu’en Biélorussie.
Un article de l'Almanach international des éditions BiblioMonde, 11 juin 2022
Mise à jour : Alexeï Navalny est mort au goulag en février 2024, probablement éliminé par le régime comme tant d’autres et comme au temps terribles de l’URSS.