L’Almanach international
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12 janvier : la journée des prisonniers politiques ukrainiens
L’anniversaire d’une purge à l’époque soviétique est célébrée depuis un demi siècle comme la Journée des prisonniers politiques ukrainiens. Cette célébration annuelle a pris une dimension particulière à partir de 2014 quand une portion du territoire ukrainien a commencé à être occupée par la Russie et qu’à nouveau des dissidents ont été emprisonnés.
Chaque 12 janvier, l'Ukraine rend hommage aux prisonniers politiques qui ont désobéi au système totalitaire soviétique et sont restés fidèles à leurs principes et idéaux. Ils ont été persécutés en raison de leurs convictions politiques et envoyés dans des prisons et des hôpitaux psychiatriques.
Le 12 janvier 1972, commençait la deuxième plus grande purge de « dissidents » en Ukraine après celle de 1965 : l'opération "Block" (Операція « Блок ») du KGB qui s’est manifestée par une vague simultanée d’arrestations et de perquisitions dans toute l’Ukraine, notamment dans la capitale, Kyiv, mais aussi à Lviv. Des membres bien connus de la résistance anti-totalitaire ont été arrêtés ce jour-là : Ivan Svitlichnyi, Yevhen Sverstyuk, Vasyl Stus, Vyacheslav Chornovil, Iryna et Ihor Kalyntsi, Leonid Plyusch, Mykola Plahotniuk... Cette liste est loin d’être exhaustive de ceux qui ont été persécutés. Près d’une centaine de personnalités ukrainiennes parmi les plus brillantes et les plus indomptables ont été emprisonnées et envoyées en exil en Mordovie, en Sibérie et au Kazakhstan. Ils ont été enfermés dans des hôpitaux psychiatriques, privés de leur emploi ou renvoyés de l'éducation. Les répressions de 1972 mettent fin au mouvement des « sixtiers », les dissidents des années 1960. La plupart des personnes arrêtées le 12 janvier 1972 ont été condamnées en vertu de l'art. 62 du Code pénal de la RSS d'Ukraine « Agitation et propagande antisoviétiques » et ont été condamnées à cinq à sept ans d'emprisonnement dans des camps à régime strict et à trois ans d'exil, mais parfois beaucoup plus comme Ivan Gel, 10 ans de régime strict et à 5 ans d'exil.
C’est en 1975 que le 12 janvier a été déclarée Journée des prisonniers politiques ukrainiens (День українських політв'язнів). Elle l’a été à l’initiative de Viacheslav Chornovil, un des dissidents ukrainiens les plus éminents de l'Union soviétique. Il était l'un des fondateurs et militants du mouvement Sixtiers en Ukraine, qui prônait la renaissance de l'Ukraine, de sa langue, de sa spiritualité et de sa souveraineté. Chornovil a été arrêté pour la première fois en 1967 pour son livre intitulé Woe from Wit , qui documentait l'emprisonnement illégal d'intellectuels ukrainiens. Il a été accusé de diffamation et condamné à trois ans d'emprisonnement. Chornovil a été libéré au bout d'un an et demi dans le cadre d'une amnistie générale.
Après sa libération, Chornovil a effectué plusieurs petits boulots et a poursuivi son militantisme. En 1970, il commence à publier un magazine clandestin intitulé Ukraine Herald . C'est ce qui lui valut d'être arrêté une deuxième fois en 1972. Cette fois, Chornovil fut condamné à six ans d'emprisonnement suivis d'un exil de trois ans.
Cette célébration annuelle a pris une dimension particulière à partir de 2014 quand une portion du territoire ukrainien a commencé à être occupée par la Russie et qu’à nouveau des dissidents ont été emprisonnés comme le cinéaste, écrivain et activiste Oleg Sentsov, Roman Sushchenko, Asan Chapukh et tant d’autres, persécutés en raison de leurs positions pro ukrainiennes.
Un article de l'Almanach international des éditions BiblioMonde, 11 janvier 2024
12 janvier : le deuil interdit des Turkmènes, la mémoire effacée de la colonisation russe
C’est la mémoire d’une bataille perdue face aux Russes, un véritable désastre et car elle permit la colonisation du pays par la Russie, qu’il est aujourd’hui interdit de commémorer.
Au Tukménistan, on se remémore une bataille perdue face aux Russes qui fut un véritable désastre et permit la colonisation du pays par la Russie. Il s’agit de la chute de la ville fortifiée de Geok-Tépé le 12 janvier 1881 après 23 jours de siège. Mais sa commémoration est aujourd’hui interdite.
Les Russes avaient tenté une première fois, en 1879, de prendre la ville de Geok-Tépé (Gökdepe). Laquelle avait résisté face aux 4000 soldats du Tsar. La seconde tentative, avec 7000 hommes mieux préparés, sera la bonne mais après un long siège. L’événement décisif a eu lieu le 12 janvier 1881 lorsque les Russes ont creusé un tunnel sous le mur de la forteresse pour y placer des explosifs qui ont fait exploser une énorme partie de la structure défensive. Les troupes russes se sont précipitées à traverser la brèche, tuant quelque 6 500 personnes dans la ville, puis pourchassant et tuant environ 8 000 autres pendant leur fuite. Ce qui représente au total 14 500 victimes sur 40 000 habitants.
Hormis l’horreur du massacre, la perte de cette ville-forteresse turkmène fut une véritable catastrophe pour les Turkmènes car elle a ouvert la route aux Russes, leur permettant la prise de la ville d’Achgabat quelques jours plus tard. La Russie achevait ainsi la conquête coloniale de l’Asie centrale. Leur présence durera plus d’un siècle : jusqu’à la disparition de l’URSS en décembre 1991.
La première commémoration a eu lieu manière spontanée en janvier 1990. Selon un rapport secret du KGB, quelque 10 000 personnes avaient répondu à l’appel des organisateurs. L'imam Ishan, petit-fils de Gurbanmyrat Ishan, l'un des dirigeants turkmènes de la guerre de Geokdepe était présent. Sous la pression populaire, les autorités turkmènes ont ensuite fait du 12 janvier un Jour de mémoire officiel (ýatlama güni), célébré par un jour férié au titre du deuil national permettant de dénoncer un siècle d’occupation russe. La dernière commémoration a eu lieu le 12 janvier 2014.
Cette mise en cause du colonialisme russe était intolérable pour Poutine lequel a fait pression sur le Turkménistan pour que la date ne soit plus commémorée. En effet, en 2014, la Journée de deuil national a été déplacée au 6 octobre, une date qui fait référence à une catastrophe naturelle. Ainsi, en mêlant victimes de séisme, de guerre et de massacres, on efface la mémoire. Pour ne pas déplaire à Moscou, le 12 janvier n’est plus un jour férié au Turkménistan depuis 8 ans. Les Turkmènes sont privés de leur mémoire, comme le sont aujourd’hui les Russes sous le régime autoritaire de Poutine. Réécrire l’histoire dans un sens plus avantageux pour la Russie éternelle est le chantier actuel du Kremlin qui vient justement de dissoudre l’association Mémorial. La Russie est, par ailleurs, en pleine reconquête de son ex-empire colonial, en témoigne son intervention au Kazakhstan, ces derniers jours, dans la droite ligne de sa politique à l’égard de la Crimée, de l’Ukraine orientale ou du Caucase…
La prise de la ville est datée du 24 janvier 1881 selon le calendrier julien en vigueur à l’époque en Russie, soit le 12 janvier dans le calendrier grégorien. C’est la date qui avait été retenue entre 1990 et 2014 pour commémorer cette bataille. Aujourd’hui, il n’y a plus de cérémonie officielle mais une prière est dite dans la mosquée construite sur le lieu même de la bataille.
12 janvier : Zanzibar commémore une révolution politique et culturelle qui s’est déroulée dans le sang
C’est une révolution sanglante qui a rempli des fosses communes que l’on commémore chaque 12 janvier dans l’île paradisiaque de Zanzibar.
C’est une révolution sanglante qui a rempli des fosses communes que l’on commémore chaque 12 janvier dans l’île paradisiaque de Zanzibar. Au final, les habitants ont chassé de l’îles toutes les populations allogènes, arabes, persanes, indiennes… qui s’étaient établis au cours des trois derniers siècles et qui y avaient pris le pouvoir. Cette île, jadis plaque tournante du commerce des esclaves, est redevenue pleinement africaine en s’associant politiquement au continent.
Le 12 janvier 1964, tôt le matin, quelques centaines d’hommes prennent les armes pour renverser le pouvoir et l’ordre social. Tous sont des villageois africains, ils sont dirigés par un Ougandais fantasque, John Okello. Les insurgés sont principalement des Africains, ils se révoltent contre les élites arabes qui dominent le pays depuis deux siècles et demi et les commerçants persan et indien établis dans l’île à la faveur de l’occupation anglaise. À parti du milieu du XIXe siècle le sultanat de Zanzibar est tombé sous le protectorat du Royaume-Uni, lequel a maintenu en place les sultans et les élites socio-économiques. L’indépendance et finalement obtenue en décembre 1963. Elles ont été précédées par des élections législatives qui ont permis aux élites arabes de maintenir leurs dominations. Le clivage ethnique est aussi social. Les grands propriétaires sont tous des descendants dans grandes familles arabes ou arabophones établies à l’époque où l’archipel était dominé par le sultanat d’Oman. Les ouvriers agricoles sont d’origine africaine et de langue swahilie. Ils ont eu la majorité des voix aux élections mais sont sous-représentés au Parlement. Le mécontentement est généralisé dans les villages de l’île.
La révolution est brève et violente : plusieurs milliers de morts. Des représailles sont exercées contre des civils arabes et persans ou indiens. Les Européens, peu nombreux, sont épargnés. La colère vise principalement les structures traditionnelles qui pèsent sur la population. Le sultan, Jamshid ben Abdallah, s’enfuit le jour même avec ses proches sur le yacht royal. Il réside aujourd’hui encore, en exil à Londres. Un Conseil révolutionnaire est créé par l'Afro-Shirazi Party (un parti africain) et l'Umma Party (formation de gauche). Abeid Karume est nommé président et le nom du pays est changé en République populaire de Zanzibar. Celle-ci ne dure que quelques semaines. Le 26 avril 1964, en associant le Tanganyika et Zanzibar, on crée un nouvel État, la Tanzanie.
Aujourd’hui, le Zanzibar revolution day est un jour férié en Tanzanie, même s’il est principalement commémoré à Zanzibar et à Pemba. On oublie les massacres et les exécutions sommaires, on préfère glorifier la prise du pouvoir par des représentants de la majorité opprimée. La démocratie sera-t-elle toujours respectée ? Ça, c’est une autre histoire dans un archipel où chaque élection provoque des violences comme ce fut le cas encore en novembre dernier.
Un article de l'Almanach international des éditions BiblioMonde