L’Almanach international
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24 septembre : la double face d’une fête nationale en Nouvelle Calédonie
C’est l’anniversaire du rattachement (ou de la colonisation) de la Nouvelle-Calédonie à (par) la France, le 24 septembre 1853. Ce jour de Fête de la citoyenneté est aussi une journée de grandes tensions entre les loyalistes (à l’égard de la France) et les indépendantistes, très divisés mais aussi très mobilisés depuis des semaines, pour qui le 24-Septembre est un jour de deuil.
Le 24 septembre est un jour férié en Nouvelle-Calédonie. C’est le 171e anniversaire du « rattachement » de la Nouvelle-Calédonie à la France, en réalité de sa colonisation par les Français. C'est, en effet, le 24 septembre 1853 que le contre-amiral Febvrier Despointes a pris possession de la Nouvelle-Calédonie au nom de l'Empereur Napoléon III. Cette fête « nationale » a été instituée en 1953, année du centenaire.
De fait, le 24 septembre est considéré comme une journée de deuil national par les Kanaks, population autochtone de la Nouvelle-Calédonie. Pour eux, cette date ne symbolise que l’occupation de leur pays par la France et le début du colonialisme en Kanaky.
En 2004, dans la foulée des Accords de Nouméa, le 24-Septembre est devenu la Fête de la citoyenneté à l’initiative de Déwé Gorodey, l’autrice indépendantiste et femme politique kanake, alors membre du gouvernement. Depuis, toutes les communautés sont invitées à partager leurs us et coutumes et leur vision de l’avenir. Ce qui est loin d’être le cas ces deux dernières années.
Cette 20e édition de la version nouvelle de la fête nationale de la Nouvelle Calédonie se déroule en réalité dans un climat de grande tension. Le pays est au bord de la guerre civile depuis que le gouvernement français a annoncé une modification de la loi électorale qui marginaliserait encore plus la population kanake.
Depuis 2004, les partisans de l’indépendance ont pris l’habitude de se rassembler le 24 septembre dans le centre de Nouméa, au Mwa Kââ, ou "maison de l'humanité", lieu symbolisé par un poteau sculpté de douze mètres. Avec, cette année un couvre-feu à 18h. et un déploiement massif de forces de l’ordre dans tout l’archipel, les manifestations sont forcément limitées, mais la mobilisation est plus forte que jamais depuis les émeutes de mai 2024.
Les opposants à l’indépendance, le camp loyaliste, se retrouvent à Païta, un peu plus au nord, pour célébrer le « rattachement », dans l’esprit de ce qui a été fait pendant des décennies. Après plus de trente ans de partage du pouvoir dans la collégialité, les loyalistes restent persuadés que dans l’État de « Kanaky-Nouvelle-Calédonie », les discriminations ethniques se manifesteraient à leur détriment et que seule la France a la capacité de les protéger.
De leur côté, les Kanaks, dans leur grande majorité, dénoncent une évidente situation coloniale, l’une des dernières à ne pas avoir été réglée selon l’ONU. Ce 24-Septembre est célèbré, cette année, dans un climat de grande crispation entre les deux camps, surtout depuis le boycott du 3e référendum d’autodétermination (prévu dans les accords de 1988) dont l’organisation maintenue en pleine crise du covid était contestée par les indépendantistes. De fait, l’avenir institutionnel de l’archipel demeure très flou. L’Union calédonienne (UC), principale composante d’un Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) a rejeté le projet Darmanin et rompu toute relation avec l’ancien gouvernement. Le nouveau ministre en charge des Outre-Mer dans le gouvernement de Michel Barnier, Jean-Noël Buffet, un ex-sénateur conservateur, aura la tâche d’apaiser une situation que jadis le gouvernement Chirac avait grandement envenimée en privilégiant l’usage de la force.
Le 24-Septembre est depuis 1974 une date symbole pour le mouvement indépendantiste. C’est en 1984, un 24 septembre, qu’a été fondé le le FLNKS. L’une de ses composante, l’Union calédonienne (UC), la plus radicale a annoncé la proclamation unilatérale de l’indépendance le 24 septembre 2025.
À ces tensions locales s’ajoutent les tensions géopolitiques récurrentes dans la zone Asie-Pacifique. La France considère, en effet, la Nouvelle-Calédonie comme un territoire stratégique essentiel dans la région Asie-Pacifique pour contrer les ambitions chinoise.
Un article de l'Almanach international des éditions BiblioMonde, 23 septembre 2024
5 décembre : les Kanaks commémorent l’assassinat des dix de Tiendanite
Alors qu’en métropole, on rend hommage aux victimes civiles et militaires des guerres coloniales en Afrique du Nord, en Nouvelle-Calédonie on se souvient des dix Kanaks victimes d’une embuscade tendue par des Caldoches (Néocalédoniens d’origine européenne), le 5 décembre 1984. Le Caillou vivait alors une situation de quasi guerre civile dont la mémoire n’est pas totalement digérée.
Alors qu’en métropole, on rend hommage aux victimes civiles et militaires des guerres coloniales en Afrique du Nord, en Nouvelle-Calédonie on se souvient des dix Kanaks victimes d’une embuscade tendue par des Caldoches (Néocalédoniens d’origine européenne), le 5 décembre 1984.
Chaque 5 décembre, se tient à Tiendanite, une cérémonie commémorant les dix militants kanaks assassinés. On se retrouve entre amis, voisins, cousins. On accueille des collégiens et lycéens pour leur transmettre la mémoire des luttes indépendantistes. Des membres du Sénat coutumier de Nouvelle-Calédonie sont là. Mais les officiels français ne sont pas les bienvenus. L’an dernier les fils de Jean-Marie Tjibaou, le chef du FLNKS de l’époque, neveux et cousins de plusieurs victimes, ont refusé d’accueillir le ministre Darmanin sur le site où se trouve aujourd’hui le mémorial dédié aux victimes.
La Nouvelle-Calédonie vivait à l’époque une véritable guerre civile, les indépendantistes manifestaient, coupaient les routes… Alors qu’ils revenaient d’une réunion politique à la mairie de Hienghène, des militants du Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) circulant à bord de deux camionnettes. À Wan’Yaat, ils sont tombés dans une embuscade que des Caldoches avaient minutieusement préparée pour faire le plus de victimes possibles. Celle-ci fut d’une extrême violence, les hommes poursuivis, les chiens lâchés, les blessés achevés et les corps mutilés… On relèvera 10 morts, dont deux frères de J.M. Tjibaou ainsi plusieurs de ses neveux et cousins, ainsi que 5 blessés graves. Les terroristes sont de petits propriétaires de la vallée, descendants de colons, craignant d’être chassés de leurs exploitations en cas d’indépendance de la Nouvelle-Calédonie. Cinq jours plus tôt Jean-Marie Tjibaou avait hissé pour la première fois le drapeau bleu rouge et vert de la Kanaky (le nom du pays adopté par les autochtones).
Les assassins se sont rendus et reconnaîtront les faits. Mais, ils ne seront jamais condamnés. La justice française va évoquer un motif de « légitime défense préventive » qui n’existe pas en droit français, pour prononcer leur acquittement. Les sept auteurs, membres des familles Mitride et Lapetite ont été relaxés par la cour d'assises de Nouméa le 29 octobre 1987. Le jury était composé exclusivement d'Européens et le juge d'instruction, un ancien militaire, avait déjà annoncé un non-lieu… Cela fait 39 ans que les Kanaks se se heurtent au silence de l’État français et des familles des coupables, avec le sentiment profond que justice n’a pas été faite.
Après ce drame, Jean-Marie Tjibaou réagira en déclarant : « La chasse au Kanak est ouverte ». La guerre civile ne fera que s’aggraver. En représailles, les indépendantistes vont multiplier les incendies de maisons caldoches situées en brousse. Plusieurs dizaines de morts seront à déplorer dans les deux camps… En 1988, des Kanaks prendront en otage cinq gendarmes dans une grotte de l’île d’Ouvéa. Le 5 mai, sur ordre d’un ministre du gouvernement Chirac, un commando ouvre le feu, entraînant la mort de dix-neuf Kanaks et deux gendarmes. C’est ce nouveau drame qui fera enfin prendre conscience à Paris de la gravité de la situation.
Aujourd’hui, la situation n’est plus la même mais reste tendue. La question de l’indépendance n’est toujours pas tranchée aux yeux des Kanaks qui ont boycotté le dernier référendum.
Un article de l'Almanach international des éditions BiblioMonde, 4 décembre 2023