30 octobre : en Russie, la mémoire refoulée du Goulag
Ces dernières années, ils étaient quelques centaines, peut-être un millier, à se rassembler chaque 30 octobre autour d’une grosse pierre devant laquelle brûlent des dizaines de bougies. La roche a été rapportée des îles Solovki, là où les premiers camps de concentration soviétiques ont été établis dès les années 1920. Placée là par l’organisation Mémorial, elle sert à Moscou de monument commémoratif aux victimes de la répression politique que l’on célèbre officiellement en Russie. Nous sommes sur la place de la Loubianka à Moscou, le bâtiment qui abritait jadis le siège du KGB, et aujourd’hui celui de son principal successeur le FSB. Le 29 octobre, c’était la traditionnelle lecture publique des noms des victimes de la terreur politique soviétique.
Habituellement, un semblable attroupement a lieu au même moment à Saint-Pétersbourg devant une pierre de la même origine. Cela dit, les commémorations demeuraient bien discrètes eu égard aux 10 à 15 millions de morts dans les camps du Goulag soviétique. La Russie de Poutine a eu de plus en plus de mal à regarder son passé en face et a procédé à un blanchiment complet de la figure de Staline.
En 2021, Poutine a fait interdire l’association Mémorial à l’origine des commémorations. La raison est que cette ONG russe continuait à affirmer qu’il y avait toujours, en 2021, des centaines de prisonniers politiques e Russie. Ils sont des milliers en 2022.
En 2022, il n’est plus question de commémoration officielle en Russie. L’association Mémorial, dissoute, a tout de même reçu le prix Nobel de la paix 2022.
Le 30 octobre 1974, dans son propre appartement Andreï Sakharov (et Sergueï Kovalev) organisaient la première conférence de presse annonçant que le 30 octobre serait désormais le « jour des détenus politiques en URSS ». Le même jour, dans les camps de Mordovie, de Perm et à la prison de Vladimir, des détenus politiques entament une grève de la faim. Les années suivantes des manifestations se déroulent à la même date. Le 30 octobre 1989, plus de 3000 personnes, tenant des cierges, font une chaine humaine autour du siège du KGB, sur la place de la Loubianka à Moscou. Ils sont dispersés par les troupes du ministère de l'Intérieur.
Finalement, en 1991, le le Soviet suprême fait inscrire le 30 octobre dans le calendrier des fêtes d'État comme Journée pour la mémoire des victimes des répressions politiques (День па́мяти жертв полити́ческих репре́ссий). Les cérémonies officielles sont souvent modestes, quoiqu’en 2017 (le 30 octobre), un imposant monument, dédié aux victimes des répressions politiques, a été inauguré par Poutine au croisement de la perspective Sakharov et de l’Anneau des jardins, dans le centre de la capitale russe. C’est le premier monument du pays dédié aux victimes du stalinisme. Tout à basculé dans le sens inverse en peu d’années, le régime de Poutine a récusé toute commémoration d’un passé qui est aujourd’hui totalement écrit. La propagande a si bien fonctionné que 70% des Russes ont une image positive de Staline, ils n’étaient que 40% en 2007.
Un article de l'Almanach international des éditions BiblioMonde, 29octobre 2022
Mise à jour 2024 : le 14 novembre, le Musée de l’histoire du goulag a été fermé (officiellement pour des questions de norme anti-incendie) et il y a peu de chance qu’il rouvre un jour prochain. Le 30 octobre 2024, il avait organisé une Journée de la répression politique en URSS. Des dizaines d’anonymes avaient lu les noms des victimes tuées pendant la terreur stalinienne. Ce musée avait reçu le prix du Musée, décerné par le Conseil de l’Europe. C’en était trop pour le régime de Poutine appliqué à réhabiliter l’URSS de Staline.
Le 3 décembre, on a annoncé le déplacement de la grosse pierre autour de laquelle brûlent des dizaines de bougies. Le projet est de l’installer le plus loin possible de la Loubianka afin d’effacer ce lieu de mémoire et de manifestation du 30-octobre.
La roche rapportée des îles Solovki, devant l’immeuble de la Loubianka, telle qu’elle existait jusqu’en 2024.
Le 30 octobre 1989, à l'appel de Mémorial, plusieurs milliers de personnes avaient formé une chaîne humaine autour du bâtiment du KGB sur la place Dzerjinski (aujourd'hui Loubianka) à Moscou avec des bougies et des pancartes du type « Nous exigeons le procès des bourreaux du KGB ! ». Photo : Dmitri Borko