L’Almanach international
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16 octobre : au Chili, la journée des enseignants et sa date introuvable
La date de cette Journée des professeurs a changé plusieurs fois et ne fait toujours pas l’unanimité car le 16 octobre fait référence à une institution complice de la dictature de Pinochet.
La date de cette Journée des professeurs (Día del Profesor) a changé plusieurs fois et ne fait toujours pas l’unanimité car le 16 octobre fait référence à une institution complice de la dictature de Pinochet (1973-1990).
Comme en Argentine, la Journée des enseignants (Día del Maestro) au Chili avait été fixée le 11 septembre. La date était celle du décès de Domingo Sarmiento, un enseignant argentin, pionnier de l'éducation également au Chili. C'est lui qui a fondé le premier établissement d'enseignement d'Amérique latine pour former des enseignants, l'École normale des enseignants du Chili. Cette journée a été célébrée pour la première fois en 1943 suite à un décret du président de l'époque, Juan Antonio Ríos. En 1943, la première Conférence interaméricaine sur l'éducation, s’était réunie à Panama. C’est elle avait institué le 11 septembre comme Journée panaméricaine des enseignants dans l’ensemble du continent en l'honneur de Domingo Faustino Sarmiento.
Le 11 septembre au Chili est une date funeste, celle du coup d’État sanglant du général Pinochet et du début de sa dictature, en 1973. En 1974, la junte décida donc de déplacer cette journée au 10 décembre, anniversaire de l'attribution du prix Nobel de littérature à Gabriela Mistral en 1945 (le premier décerné à un écrivain d’Amérique latine). La poétesse chilienne avait aussi laissé une importante œuvre pédagogique. C’est ce jour-là que la journée des enseignants est devenue el día del Profesor.
On s’est vite aperçu que la date du 10 décembre, arrivant en toute fin de l’année scolaire, était peu propice à la célébration ses enseignants. Dans ce pays de l’hémisphère sud, l’année scolaire débute autour du 1er mars et se termine vers le 20 décembre. Avec les préparatifs de Noël, des fêtes de fin d’année civile et l’approche début des grandes vacances d’été, la chaleur déjà lourde… les élèves commencent vraiment à se disperser.
En 1977, la date de la célébration a donc été déplacée, cette fois au 16 octobre, pour célébrer la fondation de l'École normale du Chili (Colegio de Profesores de Chile, CPC) en 1974. Mais cette date, choisie elle aussi à l’époque de la dictature, ne plaît guère à l’ensemble du corps enseignant qui réclame un nouveau changement de calendrier pour effacer cette mémoire.
La dictature militaire de Pinochet avait persécuté les enseignants de gauche : environ 103 enseignants ont été emprisonnés et beaucoup portés disparus. Parallèlement, des professeurs proches du régime se sont regroupés autour de ce Colegio de Profesores (CPC), dont les postes de direction était nommés par la junte militaire. C’est cette institution, émanation de la dictature d’extrême droite, que l’on célèbre aujourd’hui. Dans beaucoup de domaines, un demi-siècle après le coup d’État militaire, la page du régime de Pinochet n’est toujours pas tournée !
Un article de l'Almanach international des éditions BiblioMonde, 16 octobre 2024
24 novembre : en Turquie, drôle de fête pour les professeurs
Alors que depuis le coup d’État de 2016 quelque 50 000 enseignants ont été limogés, la Turquie fête ses professeurs, comme chaque 24 novembre. Des cérémonies sont prévues dans les écoles, les élèves lisent des compliments ou des poèmes à l’intention de leur professeurs…
Alors que depuis 2016 quelque 50 000 enseignants ont été limogés, la Turquie, comme chaque 24 novembre, fête ses professeurs. Des cérémonies sont prévues dans les écoles, les élèves lisent des compliments ou des poèmes à l’intention de leurs professeurs, lesquels reçoivent des fleurs, parfois des cadeaux de la part des parents, et cette reconnaissance dépasse aujourd’hui les murs de l’école. La fête est relativement récente, elle ne date que de 1981, quand on a fêté le centenaire de Mustapha Kemal, le fondateur de la Turquie moderne. Le 24 novembre 1928, il avait été désigné officiellement comme le premier des professeurs de Turquie.
Ce jour-là, il avait fait ouvrir les écoles publiques pour permettre aux adultes de venir y apprendre le nouvel alphabet turc, emprunté à l’alphabet latin pour remplacer celui qui avait été hérité des Arabes. En 1934, à nouveau un 24 novembre, Mustapha Kemal était honoré du patronyme d’Atatürk, le « Turc-père ». Créée par le très kémaliste général Evren, quelques mois après avoir pris le pouvoir par le putsch de 1980, cette Fête des professeurs (Öğretmenler Günü) a, paradoxalement, conservé toute sa vigueur sous la majorité islamo-conservatrice de l’AKP, arrivée au pouvoir au début des années 2000.
Depuis juillet 2016, des dizaines de milliers d’enseignants, militants de gauche, sympathisants pro-kurdes ou encore fidèles supposés de l’imam Fethullah Gülen, le "cerveau" du putsch selon Ankara, se sont ainsi retrouvées sur des listes et limogés par simple décret. Certains d’entre eux sont désormais tenus à l’écart de la société. Leur sécurité sociale a été annulée, leurs passeports confisqués, ils sont condamnés à une mort sociale. Même ceux qui travaillent à l’étranger ne sont pas à l’abris. En mars 2018, six professeurs en poste au Kosovo ont été enlevés ramenés de force en Turquie à bord d'un avion privé affrété par le ministère turc de l’Intérieur.
Fondateur du mouvement turc Hizmet (Service), Fethullah Gülen prône un islam ouvert à l’éducation. Cet enseignement était suivi par des millions d’adeptes (et près de 10% de la population turque avant 2016 !). Le mouvement possédait un réseau éducatif international comptant des milliers d’établissements à travers le monde, cibles du régime d’Erdoğan, partout où ils trouvent. Presque tous ont fermé depuis le début des persécutions.
À l’échelle internationale, c’est le 5 octobre que l’on célèbre les enseignants.
Un article de l'Almanach international des éditions BiblioMonde, 23 novembre 2024