L’Almanach international
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14 avril : la Journée de la langue maternelle dans une Géorgie sous emprise russe
Alors que la pression de Moscou est de plus en plus forte sur leur république, les Géorgiens célèbrent la Journée de la langue maternelle, une commémoration très populaire en particulier dans l’opposition au gouvernement pro-russe qui s’est imposé au pouvoir en trafiquant les élections.
Alors que la pression de Moscou est de plus en plus forte sur leur république, les Géorgiens célèbrent la Journée de la langue géorgienne (ქართული ენის დღე). Ce n’est pas un jour férié officiel, mais une commémoration très populaire en particulier dans l’opposition au gouvernement pro-russe qui s’est imposé au pouvoir en trafiquant les élections.
Cette date fait référence à la journée du 14 avril 1978. Des milliers de personnes, principalement des étudiants et des intellectuels, ont manifesté dans les rues de Tbilissi. Suite à ce mouvement de protestation sans précédent, les autorités soviétiques ont dû abandonner les amendements à la Constitution concernant le statut des langues en Géorgie. Le président du Soviet suprême de la RSS de Géorgie, Edouard Chevardnadze, avait décidé de changer l’article 75 de la Constitution pour supprimer le statut de langue officielle du géorgien, ce qui le rabaissait au même niveau que le russe. C’est contre cette décision que la population avait réagi.
Du temps de Staline, né en Géorgie, le statut de la langue nationale avait été relativement préservé. C’est sous Khrouchtchev que la russification a été engagée et a atteint son apogée en 1978. Le Kremlin a finalement reculé. Toutefois, le travail de sape avait été mis en place depuis longtemps par Moscou, déjà sous Staline, avec la création d’entités autonomes à l’intérieur de la Géorgie en valorisant de petites langues locales au détriment du géorgien. Diviser pour mieux régner telle a été la devise de Moscou de Staline jusqu’à Poutine. La valorisation et l’encouragement d’une multitude de petites langues partout en URSS visaient à fractionner linguistiquement la population et faire en sorte que le russe soit la seule véritablement langue de communication entre toutes ces entités bâties sur des bases linguistiques parfois très étroites. Cette politique s’est poursuivie après la disparition de l’URSS. En 1993, 250 000 locuteurs de langue géorgienne ont été chassés manu militari d’Abkhazie un territoire qui abritait alors moins de 100 000 locuteurs de langue abkhaze. En 2008, les 20 à 30 000 locuteurs de langue géorgienne sont chassés d’Ossétie du Sud qui abritait alors moins de 50 000 locuteurs de langue ossète. Dans un second temps, il a suffi d’inciter ces deux minorités linguistiques à proclamer leur sécession à l’égard de la Géorgie et c’est ainsi que Moscou a détaché deux provinces de Géorgie pour en faire des protectorats qui vulnérabilisent fortement la Géorgie. Dans le cas de l’Ossétie, il fallut une guerre pour faire céder Tbilissi. C’était en 2008 et le reste de l’Europe a détourné les yeux. La tactique de Moscou a été reproduite en Ukraine…
Aujourd’hui, c’est dans un pays presque totalement sous l’emprise russe que l’on fête la langue nationale. Les célébrations ont lieu à Tbilissi, notamment, dans le Jardin de la langue maternelle.
Le géorgien aurait pu disparaître plusieurs fois dans son histoire. Il a été sauvé par son Église, mais aussi par la ténacité de ses élites culturelles. Aujourd’hui, il n’est parlé que par quelque cinq millions de locuteurs (dont un million hors de Géorgie). La particularité de cette langue très ancienne, à l’origine obscure, c’est de posséder son propre alphabet : le mkhdruli, composé de 33 lettres.
Un article de l'Almanach international des éditions BiblioMonde, 14 avril 2025
Le jardin de la langue maternelle, à Tbilissi, un 14 avril