L’Almanach international
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26 mars : le jour où les Pieds-noirs ont perdu l’Algérie
Il y a 62 ans des soldats français tiraient sur la foule des manifestants faisant des dizaines de morts parmi les Européens d’Alger qui manifestaient contre l’indépendance de l’Algérie. Ce drame occulté a marqué la fin du rêve d’une Algérie française.
Il y a 62 ans des soldats français tiraient sur la foule des manifestants faisant des dizaines de morts. Les victimes de la fusillade de la rue Isly, à Alger, le 26 mars 1962, étaient des Français vivant en Algérie manifestant contre le processus de décolonisation. Quelques jours plus tôt, le 18 mars, les accords d’Évian avaient décidé un cessez-le feu en vue d’accorder son indépendance à l’Algérie, mettant fin à 17 ans d’une sale guerre qui avait débuté le 8 mai 1945. Les appelés étaient enfin démobilisés, ce que la France célèbre chaque 19 mars. Mais pour les Pieds-noirs, tel qu’on appelait à l’époque les Français vivant en Algérie, le conflit n’était pas achevé. Le Cercle Algérianiste et d’autres associations de Pieds-noirs, souhaiteraient que l’on commémore le massacre du 26 mars, et demandent que cette journée soit inscrite prochainement à l'agenda des commémorations officielles. Ce qui n’est pas le cas, il n’y a pas de commémorations récurrentes, sauf des cérémonies ponctuelles et discrètes, dans diverses localités du sud de la France où vivent de nombreux descendants de Pieds-noirs.
Cela n’a pas empêché les autorités de célébrer le 80e anniversaire du drame en présidence du président Macron qui a dénoncé «une page tragique de notre récit national» et un massacre « impardonnable ». Le président français voulait contrebalancer, dans la mémoire des Pieds-noirs, son qualificatif de « crime contre l’humanité » dont il avait taxé la colonisation, lors d’une visite à Alger en 2017. Une qualification qui n’avait pourtant rien d’exagéré si on se remémore les conditions de la conquête de 1830 et des années qui ont suivi.
Le 26 mars 2022, le président Macron avait rendu hommage aux 800 000 Français d'Algérie, «déracinés au sein de leur propre patrie», mais sans pour autant reconnaître la responsabilité de l’État français dans ce massacre. Il est vrai que les circonstances étaient assez particulières. Quelques jours plus tôt, le 23 mars déjà, des Français avaient tué des Français. Les victimes étaient des soldats du contingent tués par des terroristes français engagés dans l’OAS, la sinistre Organisation de l’armée secrète qui s’était donné pour objectif de saboter de processus d’indépendance de l’Algérie. C’est cette même OAS qui avait appelé la population européenne d’Alger à la manifestation du 26 mars. Malgré son interdiction par le préfet de police, plusieurs milliers de partisans de l'Algérie française ont afflué. Ils se dirigent vers le quartier de Bab-el-Oued, refuge de membres de l'OAS, afin de forcer les barrages installés par l'armée française Le trajet principal passe devant la Grande Poste, à l'entrée de la rue d'Isly. Des soldats du contingent, marqués par la fusillade du 20 mars, étaient chargés du maintien de l’ordre. C’est là que tout a dérapé. Un premier coup de feu est parti. On ne sait d’où, car aucune enquête officielle n’a été faite après le massacre. Soudain, les soldats ont tiré sur la foule perçue comme menaçante. Le bilan officiel est d'une cinquantaine de morts et 150 blessés, sans doute plus, on ne sait pas exactement. Des pieds-noirs se sont aussitôt vengés en lynchant des Algériens du quartier de Belcourt (aujourd’hui Belouizdad)… l’enchaînement de la violence a ruiné tout espoir d’empêcher l’indépendance de l’Algérie. C’est dire si cette date est douloureuse pour ceux qui ont dû quitter un pays où ils étaient établis parfois depuis plusieurs générations, mais établis comme colons, au détriment d’une population autochtone dépourvue de tout droit politique. L'événement a marqué le début de l'exode massif des Européens d'Algérie.
Le soir du 26 mars 1962, le président Charles de Gaulle s'adressait aux Français pour leur demander de voter en faveur de l’indépendance de l’Algérie. Il ne fit aucune allusion à ce massacre occulté pendant des dizaines d’années. En 2010, toutefois, le gouvernement français a finalement décidé d'inscrire les noms des victimes de la rue d'Isly sur le Mémorial de la guerre d'Algérie à Paris, mais l'État français n'a jamais reconnu de responsabilité dans ces événements dans lesquels les terroristes de l’OAS ont aussi leur part. D’autant qu’après le 26 mars, l’OAS fera encore de nombreuses victimes, tant civiles que militaires. L’indépendance de l’Algérie qui arrivait beaucoup trop tard, était dans le sens de l’histoire. L’opinion publique française voulait tourner la page de la guerre d’Algérie. D’où l’occultation de ce drame, comme d’autres, pendant un demi-siècle. Mais voilà que cette date du 26 mars nous revient, avec tout le refoulé sur le bon vieux temps des colonies cultivé de plus en plus ouvertement par l’extrême droite.
Un article de l'Almanach international des éditions BiblioMonde, 26 mars 2024
22 février : la date qui fait peur aux autorités algériennes
C’est la date anniversaire de la première manifestation de grande ampleur dans tout le pays, en 2019, contre l’annonce d’un cinquième mandat du président Boutéflika. Ce jour-là 800 000 personnes, peut-être un million, ont envahi les rues d’Alger alors que toute manifestation était interdite depuis… 2001.
C’est la date anniversaire de la première manifestation de grande ampleur dans tout le pays, en 2019, contre l’annonce d’un cinquième mandat du président Boutéflika. Ce jour-là 800 000 personnes, peut-être un million, ont envahi les rues d’Alger alors que toute manifestation était interdite depuis… 2001. À partir de ce 22 février 2019, les Algériens vont manifester tous les vendredis, avec l’idée d’un total changement de régime. L’annonce de la démission de Boutéflika en avril n’a en rien désamorcé la connotation qui a pris le nom de Hirak. Certes après l’élection d’Abdeldmadjid Tebboune, en décembre 2019, la tension est un peu retombée. L’épidémie de Covid-19 a suspendu les manifestations de rue, mais la demande du peuple algérien d’un changement total de régime est toujours vivante. Un référendum constitutionnel boudé par les électeurs (plus des trois quarts n’ont pas voté), n’a modifié le régime qu’à la marge. Deux ans après le début du Hirak, ce mouvement inédit et pacifique, les espoirs sont déçus.
Le président Tebboune de retour en Algérie après avoir été hospitalisé en Allemagne pendant trois mois, d’abord en raison de la Covid-19 puis à la suite de “complications” au pied droit, a fait sa réapparition sur la scène politique ce jeudi 18 février avec un discours lénifiant mais assorti de l’annonce de libérations de prisonniers d’opinion parmi lesquels le journaliste Khaled Drareni (correspondant à Alger de TV5 Monde), l’enseignante Dalila Touat, l’opposant Rachid Nekkaz ou encore le militant Brahim Laalami. Ils ont été libérés vendredi en Algérie, provoquant joie et soulagement à travers le pays. Mais cela pas empêché des appels à manifester dans tout le pays, le 22 février, la date symbolique qui rappelle au pouvoir que rien n’a été fait que ce qu’attend le peuple : un changement de régime. Or, celui-ci est figé depuis l’indépendance, les élections et même le gouvernement ne sont qu’une façade : le vrai pouvoir est dans les mains de l’armée. On en plaisante, comme l’exprime la boutade qui circule en Algérie : “Dans tous les pays du monde, l’État a une armée. Mais en Algérie, c’est l’armée qui a un État”, tout en le déplorant. Voilà, l’unique objet de la révolte du Hirak, lancée un 22 février.
Un article de l'Almanach international des éditions BiblioMonde, 21 février 2021
Mise à jour 2023 : 4 ans après le soulèvement pacifiste de 2019, la répression a pris le dessus, la situation est bien pire que sous Boutéflika. Le climat politique s’est assombri en Algérie alors que le régime intensifie sa traque des derniers noyaux protestataires.
« le régime a bénéficié d’un double effet d’aubaine. Le premier secours est venu du Covid-19, qui a justifié fort opportunément l’interdiction des rassemblements protestataires au nom de la sécurité sanitaire. Privés de la protection de foules en marche, les noyaux les plus militants du Hirak se sont alors brusquement retrouvés à découvert. Puis éclata la guerre en Ukraine, providentielle pour l’Algérie gazière et pétrolière. Le conflit allait doper le prix des hydrocarbures, offrant au pouvoir de ce pays producteur une bouffée d’oxygène permettant d’acheter la paix sociale, tout en imposant l’Algérie comme une alternative au gaz russe, à ce titre courtisée par des Occidentaux subitement moins concernés par les droits de l’homme. » Le Monde, 10 février 2023