16 avril : hommage à Ben Badis, figure multiforme du nationalisme algérien
En Algérie, le 16 avril, c’est la Journée du savoir (Youm El Ilm, يوم العلم), l’occasion de réfléchir sur le système éducatif algérien mais c’est aussi une journée pour se souvenir d’Abdelhamid Ben Badis (ou Ibn Badis), dont c’est le 85e anniversaire du décès, le 16 avril 1940, à Constantine.
Ce personnage est une figure mythique du nationalisme algérien d’avant la guerre de libération. Il est chaque année célébré et chacun trouvera une bonne raison de faire référence à Abdelhamid Ben Badis ou de le récuser. Il est né dans une famille de notables qui avaient fait allégeance à la France, la puissance occupante. Mais, Ben Badis s’est très jeune posé en défenseur l’algérianité et de la langue arabe. Il est vu en précurseur du nationalisme algérien mais parfois critiqué pour avoir inscrit sa démarche militante dans le cadre de la démocratie française. En 1936, notamment, il a négocié pour que soit accordé aux musulmans algériens la citoyenneté pleine et entière comme celle qui avait été offerte aux juifs algériens, mais dans le respect d’une identité algérienne qui, à ses yeux, était indissociable de l’islam.
Abdelhamid Ben Badis est à l’origine de l’Association des oulémas (savants) algériens, fondée en 1931. D’où la date de son décès choisie par l’État algérien comme Journée du savoir. Le savoir prôné par Ben Badis était avant tout religieux. Il a fondé un réseau d’écoles qui compta, en 1954, jusqu’à 40 000 élèves dans 124 établissements, encadrées par 274 enseignants. En 1947 à Constantine, il a créé l’Institut Ibn Badis, un établissement d’enseignement secondaire, dédié à la formation des enseignants. On y enseignait en arabe et l’islam occupait une place importante. Ce réseau concurrençait l’École française peu ouverte aux indigènes musulmans, comme on les appelait à l’époque.
Cheikh Ibn Badis prônait un islam réformiste qui dénonçait le conservatisme des confréries, accusées de maintenir le féodalisme et pour certaines de collusion avec l’administration coloniale. Si bien qu’on présente Ben Babis comme un modernisateur mais sa vision de l’islam est aujourd’hui revendiquée par le courant salafiste. À partir de 1991, les salafistes du Front islamique du Salut (FIS) se sont réclamé d’Ibn Badis sous prétexte d’un retour à l’islam des origines. Pourtant, Ben Babis n’était pas totalement sur leur ligne, il prônait une liberté religieuse qui, aujourd’hui, n’a plus cours, et a toujours dénoncé l’antisémitisme, notamment celui des petits colons français à l’égard des juifs algériens.
Toute sa vie comme journaliste puis comme pédagogue, Abdelhamid Ben Badis a lutté contre le colonialisme, sans se rapprocher de Messali Hadj, mais en trouvant des points de convergence avec le Parti communiste algérien. Cheikh Ibn Badis a toujours conféré une dimension politique, sociale et culturelle à son projet de réforme en encourageant l’émergence de nombreuses associations culturelles et sportives. Il est mort peu de temps après avoir fondé le club de football de Constantine. Des milliers de personnes ont assisté à son enterrement qui a tourné à la manifestation anticoloniale.
Dès l’indépendance, le journal du FLN, El-Moudjahid, se fait chaque année l’écho des commémorations de sa mort. On met en exergue ses citations comme « La nation algérienne n'est pas la France ; ne peut pas être la France ; ne veut pas être la France », pour en faire un symbole du patriotisme révolutionnaire algérien. Ce héros national est en bonne place dans les manuels scolaires. C’est sous le président Boumédienne, en 1970, qu’est instaurée la Journée de la culture (ou du savoir) (Yawm al-‘ilm), mais pour l’inscrire dans une démarche conservatrice et religieuse, en rupture avec le modernisme de Ben Bella, le premier président algérien. Plus récemment, les 2019, la figure du cheik Ben Badis était brandie par les insurgés du Hirak luttant contre un régime algérien totalement sclérosé… Tous les courants de la vie politique algérienne se sont, à un moment ou à un autre, réclamés de cette figure mythique, peu connue hors des frontières de l’Algérie.
Le 16 avril 2024, à l’occasion de Youm El Ilm, sa bibliothèque personnelle a été donnée à la bibliothèque de Djamaâ El Djazaïr. Elle contient environ un millier d’ouvrages touchant à divers domaines du savoir comme la civilisation islamique, les questions jurisprudentielles, le tafsir, la littérature et la poésie.
Un article de l'Almanach international des éditions BiblioMonde, 14 avril 2025