L’Almanach international

Parce que chaque jour est important quelque part dans le monde

1966, Mauritanie, 11 février Bruno Teissier 1966, Mauritanie, 11 février Bruno Teissier

11 février : le Manifeste des 19 contre l’arabisation forcée de la Mauritanie

En Mauritanie, la communauté noire commémore chaque année l’arrestation des 19 signataires d’un manifeste de 1966 dénonçant la décision de rendre la langue arabe obligatoire dans les collèges et les lycées.

 

En Mauritanie, la communauté noire commémore chaque année l’arrestation des 19 signataires d’un manifeste dénonçant la décision de rendre la langue arabe obligatoire dans les collèges et les lycées.

Le 4 janvier 1966, la totalité des élèves noirs des lycées de Nouakchott et de Rosso s’étaient mis en grève illimitée pour réclamer la suppression du décret d’application de la loi du 30 janvier 1965 rendant obligatoire l’enseignement de la langue arabe dans le secondaire. Ce mouvement de contestation scolaire avait trouvé rapidement un écho favorable auprès de nombreux hauts cadres originaires de la vallée du Sénégal qui dénonçaient leur marginalisation dans un État où les Maures arabisés tiennent le haut du pavé. Le 6 janvier, par solidarité, dix-neuf d’entre eux apportent leur soutien à la revendication de ces élèves et posent le problème de la cohabitation nationale : ils publient que l’on appelle le « Manifeste des 19 ». Dans ce manifeste, ils dénoncent cette loi qu'ils voient comme un obstacle à l'avancement des Noirs non arabophones dans le pays, l'arabisation du pays, ainsi que l'effacement du caractère négro-africain de la Mauritanie dans toutes les sphères de la société. Ils réclament l'instauration du fédéralisme.

Pour contenir la contestation, les élèves du secondaire furent mis en vacances du 19 janvier au 4 février inclus. La rentrée s’est faite dans un climat de grande tension. Le 8 février au lycée de Nouakchott, des rixes ont eu lieu entre les élèves noirs et les élèves maures. Le lendemain, des Haratins (anciens esclaves noirs, de culture maure) armés organisaient des ratonnades dans les quartiers majoritairement noirs de la ville, accusant leurs habitants d’être des Sénégalais et non des Mauritaniens. Trois Maures et trois Noirs ont été tués mais près de 70% des blessés étaient noirs. À la suite de ces violences, le président Moktar Ould Daddah a fait fermer tous les établissements scolaires, musèlé Radio Mauritanie, ordonné un couvre-feu et l’arrestation des 19 signataires du Manifeste. Le 11 février 1966, ils sont emprisonnés à Nbeika.

Depuis cette date, l’anniversaire de l’arrestation de ces militants est l’occasion de dénoncer la marginalisation des Noirs dans ce pays créé par la France de manière arbitraire à cheval sur le Sahel et la vallée du Sénégal, deux mondes très différents. Dans les années 1960, il existait un mouvement panarabiste qui prônait un rattachement de la Mauritanie au Maroc. Certains de leurs porte-voix ont été, eux aussi, emprisonnés à l’époque.

Depuis la mort de Mohamed Abdallahi Ba en 2023, ils ne sont plus que deux signataires à être encore en vie : Daffa Bakary et Aly Kalidou Ba.

Le texte du manifeste de 1966 :

Nous soussignés :

- Déclarons être hostiles à la mesure rendant l'arabe obligatoire dans les enseignements primaires et secondaires.

- Engageons le combat pour détruire toute tentative d'oppression culturelle et pour barrer la route à l'arabisation à outrance.

- Exigeons l'abrogation pure et simple des dispositions des lois 65-025 et 65-026 du 30 janvier 1965 rendant l'arabe obligatoire dans les 1er et 2ème degré et qui ne tiennent aucunement compte des réalités mauritaniennes.

- Rejetons le bilinguisme qui n'est qu'une supercherie, une trahison permettant d'écarter les citoyens Noirs de toutes les affaires de l'Etat.

-Dénonçons la discrimination raciale, l'illégalité, l'injustice et l'arbitraire que pratique le régime en place.

- Dénonçons toute confusion hypocrite visant à poser un problème à tendance politique (Arabe) sous l'optique religieuse (Islam).

- Nions l'existence d'une majorité maure, car les propositions proclamées sont fabriquées pour soutenir le régime dans l'application intégrale de sa politique de médiocrité déjà entamée à l'endroit de la communauté noire.

- Exigeons le remplacement immédiat de tous les commandants de cercle et Adjoints, des chefs de subdivision, des chefs de postes administratifs, des commissaires de police, des commandants de gendarmerie, des juges et Maires-délégués, tous maures se trouvant dans le Sud par des administrateurs et fonctionnaires noirs, seuls soucieux du développement de cette partie du pays et respectueux des populations, et de toutes leurs valeurs.

- Exigeons le placement immédiat de tous les cadres noirs sous-employés dans les situations conformes à leurs diplômes et références.

- Sommes prêts à rencontrer le Président de la République, le Président de l'Assemblée Nationale, le Président du Groupe Parlementaire ;

- Mettons en garde tout responsable noir contre une éventuelle prise de position susceptible de léser les intérêts de la Communauté (noire) ;

- Jurons sur notre honneur de ne jamais transiger ni avec le devoir, ni avec la conscience, de ne jamais nous départir de nos positions justes et honnêtes, de nous maintenir dans ces positions jusqu'à la disparition totale de toute tyrannie, domination et oppression exercées sur la Communauté noire et jusqu'à ce que tout citoyen noir vive libre, digne et heureux en Mauritanie".

Les 19 signataires :  Ba Abdoul Aziz, magistrat ; Ba Ibrahima, ingénieur géomètre ; Ba Mohamed Abdallahi, instituteur ; Bal Mohamed El Habib, ingénieur des Eaux et Forêts ; Daffa Bakary, ingénieur des TP ; Diop Abdoul Bocar, commis comptable ; Diop Mamadou Amadou, professeur ; Kane Bouna, instituteur ; Koïta Fodié, ingénieur des TP et bâtiments ; Seck Demba, instituteur ; Sow Abdoulaye, inspecteur de Trésor ; Sy Abdoul Idy, statisticien ; Sy Satigui Oumar Hamady, instituteur ; Traoré Souleymane dit Jiddou, instituteur ; Bal Mohamed El Bachir, administrateur ; Ba Aly Kalidou, inspecteur de Trésor ; Ba Mamadou Nalla, instituteur ; Traoré Djibril, instituteur ; Coulibaly Bakary, instituteur

Un article de l'Almanach international des éditions BiblioMonde, 10 février 2024

 
Lire la suite
1960, 1990, Mauritanie, 28 novembre, massacre, indépendance Bruno Teissier 1960, 1990, Mauritanie, 28 novembre, massacre, indépendance Bruno Teissier

28 novembre : en Mauritanie, jour de fête et jour de deuil à la fois 

C’est la fête de l’indépendance. Celle-ci a été obtenue le 28 novembre 1960, c’est aussi l’anniversaire du massacre d’Inal, symbole des persécutions des Afro-Mauritaniens.

 

Aujourd’hui, c’est la Fête de l’indépendance. Celle-ci a été obtenue le 28 novembre 1960 après quelque 70 ans d’occupation française. Commémorée chaque année, cette date este devenue la fête nationale de la Mauritanie. C’est l’occasion d’un défilé militaire, qui peut être perturbé par des manifestations.

Cette journée est aussi une journée de deuil pour tous les Afro-Mauritaniens et les défenseurs des droits de l’homme, bien peu respectés dans ce pays, en particulier  quand il s’agit de la communauté noire. Dans la nuit du 27 au 29 novembre 1990, la date n’avait pas été choisie au hasard, 28 soldats mauritaniens sont pendus les uns après les autres à Inal, dans le nord-ouest du pays. Tous sont négro-africains. Ils ont été sélectionnés parmi les manifestants arrêtés au cours des jours précédents. Ce jour-là, la Mauritanie célébrait le 30e anniversaire de son indépendance.

En 1986, plusieurs cadres des Forces de libération africaines de Mauritanie (FLAM), un mouvement d’opposition fondé clandestinement en 1983, publient un « Manifeste du Négro-Mauritanien », pour dénoncer les persécutions qu’ils subissent.

En 1989, sous prétexte d’un incident transfrontalier, les autorités avaient expulsé plus de 60 000 Afro-Mauritaniens vers le Mali et le Sénégal. Leurs papiers ont été détruits, leurs terres et maisons confisquées, très peu pourront revenir. À la fin de l’année 1990, environ 3 000 militaires afro-mauritaniens sont mis aux arrêts. Entre 500 et 600 d’entre eux sont exécutés ou décèdent des suites de tortures. Le massacre d’Inal est le symbole de cette répression sanglante, il est loin d’être le seul. En 1993, une loi d’amnistie a fini par jeter une chape de plomb sur « les années de braises » (1986-1991). Les massacres demeurent encore aujourd’hui un véritable tabou national.

Le président Mohamed Ould Ghazouani, en poste depuis août 2019, n’a pas fait bouger les choses. Ce n’est pas faute d’avoir été interpellé par des manifestants alors qu’il assistait, le 28 novembre 2020, à deuxième défilé militaire organisé à l’occasion de la fête nationale. 36 des manifestants ont été jetés en prison et les festivités de la fête nationale ont repris leur cours. Parmi eux figuraient plusieurs orphelins de victimes du massacre d'Inal dont c’était le 30e anniversaire.

Un article de l'Almanach international des éditions BiblioMonde, 27 novembre 2021

 
Lire la suite