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8 décembre : la fête nationale des Corses
Le 8 décembre s’est imposé depuis deux ou trois décennies comme la fête nationale de la Corse. Ses racines remontent au XVIIIe siècle mais la tradition, oubliée pendant deux siècles, n’a été réinventée que récemment.
Le 8 décembre s’est imposé depuis deux ou trois décennies comme la fête nationale de la Corse (a Festa di a nazione corse). Les racines toutefois sont beaucoup plus anciennes. Tout remonte à la révolte des Corses contre Gênes qui a débuté en 1729. La Corse à l’époque dépendait de la République de Gênes. Après avoir appelé la France et l’Autriche sans grand succès pour mater l’insurrection, Gênes finit par lâcher prise en 1735.
Selon la légende, le 8 décembre 1735, les principaux chefs de la lutte corse contre l'occupation génoise, se seraient réunis dans un couvent franciscain de Castagniccia, formant une assemblée qui prononçait la volonté d'indépendance de l’île. C’est une légende car il ne s’est rien passé précisément le 8 décembre de cette année-là.
C’est au début de l’année 1735 que la Corse se proclame indépendante et promulgue une constitution qui place l’île sous la protection de la Vierge, celle-ci était patronne de l’île depuis 1736. Ce texte du 30 janvier 1735 déclarait alors : « (...) nous décidons que tous, les armes et les drapeaux dans notre dit royaume, soient empreints de l'image de l'Immaculée Conception, que la veille et le jour de sa fête soient célébrés dans tout le royaume avec la plus parfaite dévotion (...) ». Ainsi le 8 décembre (l’Ottu di dicembri) devenait la fête de la nation corse. C’est à cette occasion qu’un chant religieux célébrant la Vierge Marie fut choisi comme hymne national, le Dio vi Salvi Regina (« Dieu vous garde, Reine »), composé au début du XVIIIe siècle par le jésuite napolitain Francesco de Geronimo.
Cet attachement de la Corse à l’Immaculée conception (Immaculata Cuncezziò) est d’ailleurs bien antérieure à celle du reste de l’Église catholique car c’est en 1854 seulement que cette vieille fête, un peu oubliée, a été érigée en dogme par le pape Pie IX, avec la date du 8 décembre.
Pourquoi ce choix de la Vierge qui contrarie ceux qui préféreraient une référence plus laïque ? Probablement est-ce un emprunt à la République de Gênes où elle était particulièrement vénérée. Ensuite, plus tard, quand la République française s’est voulue laïque, la Corse restée très catholique, a vu dans cette référence religieuse un moyen de se distinguer du continent et d’affirmer son identité propre.
On le sait, l’indépendance de la Corse a tourné court, après quelques retournements de situation, la France prit le contrôle de l’île de Beauté en 1769. Cette fête du 8 décembre tombera alors quasiment dans l’oubli pendant deux siècles, pour ne réapparaître que très discrètement dans les années 1970, dans le cadre du Riacquistu, « la réappropriation » par les Corses de leur passé culturel. Un semblable processus a eu lieu dans de nombreuses régions de France à cette époque, mais en Corse, il a évolué en revendication politique. C’est en 1981 que le mouvement autonomiste Unione di u populu corsu (« Union du peuple corse ») a commencé à revendiquer la date du 8 décembre et à lui donner une valeur politique.
L’adhésion à cette date ne fut pas immédiate, beaucoup auraient préféré fêter le 15 juillet, jour anniversaire de la proclamation de Pasquale Paoli comme chef de la nation corse en 1755, ce qui était politiquement beaucoup plus fort qu’une fête religieuse ressortie de la naphtaline. Mais les mouvements nationalistes, toujours très divisés, s’en sont tenus à la tradition, même s’il s’agit d’une tradition réinventée. Il y a quelques années, l’historien bastiais, Hubert Lenziani a exhumé une autre date dans un article qui relatait l'Assemblée d'Orezza de 1790 : « Une proposition émanant d’un représentant dénommé Pietri propose que le 30 novembre, faisant allusion à l’année 1789, date d’adhésion de la Corse à l’Imperium français, soit décrété fête nationale de la Corse. Ceci est voté à l’unanimité ». D’autres dates auraient pu s’imposer…
L’attachement à faire du 8 décembre un jour férié ne date véritablement que du début du XXIe siècle. Depuis quelques années, beaucoup de commerces corses tirent leur rideau ce jour-là. L'université de Corse-Pascal-Paoli de Corte a été pionnière en accordant la journée du 8 décembre aux étudiants dès 1998. Appuyée par les tenants locaux de la laïcité, l’Éducation nationale n’a jamais cédé pour les autres établissements. Mais face à l’absentéisme des lycéens les plus militants, elle a fini par accepter, en 2004, qu’au sein des établissements scolaires la journée du 8 décembre soit consacrée au patrimoine linguistique et culturel de la Corse, tout en laissant une grande autonomie aux lycéens pour l’organiser. C’est aussi une manière d’intégrer à la culture locale les nombreux lycéens issus de l’immigration, d’autant qu’en Corse le 8-Décembre a aujourd’hui largement perdu son caractère religieux. Même si, désormais, c’est généralement autour du 8 décembre que s’ouvrent les marchés de Noël, une tradition récemment importée du continent.
Un article de l'Almanach international des éditions BiblioMonde, 8 décembre 2024