7 avril : une révolution d’avril que le pouvoir kirghiz aimerait faire oublier
C’est aujourd’hui, le Jour de la Révolution populaire d'avril, une fête nationale qui commémore la révolution du 7 avril 2010, laquelle a renversé la dictature de Kurmanbek Bakiev. Celui-ci était arrivé au pouvoir en 2005 à la faveur d’une autre révolution, celle dite des Tulipes, que personne ne commémore car elle avait très vite débouché sur une dictature familiale. Le clan Bakiev, en effet, avait mis la main sur toutes les entreprises rentables du pays et avait verrouillé le système électoral pour s’incruster au pouvoir au point que seule une révolution pouvait le renverser. C’est ce qui est arrivé. La corruption, le népotisme et la répression politique ont fini par mobilier l’opposition. En avril 2010, les manifestations se sont intensifiées dans le centre de Bichkek. Les forces de sécurité ont ouvert le feu sur les manifestants, causant la mort de 87 personnes. Mais les manifestants ont fini par prendre d'assaut le bâtiment du Parlement et, le 7 avril, ont renversé Bakiev, qui s'est enfui en Biélorussie.
Le Kirghizistan a connu ensuite quelques années d’un renouveau démocratique qui l’a singularité au sein de l’Asie centrale. Dès 2011, le nouveau régime (parlementaire), avait instauré un jour férié pour célébrer cette révolution. Chaque année, une cérémonie se déroulait sur la place Ala-Too, au centre de Bishkek. En 2016, le 7 avril a été déclaré journée chômé afin de donner plus de solennité à la célébration de la Révolution d’avril (Апрель революциясы) qui se déroule également sur un site commémoratif près de Bichkek.
Cette époque appartient au passé, la fenêtre libérale de l’Histoire kirghize est bien refermée à présent. Le 7 avril est toujours dans la liste des jours fériés, mais le nouveau code du travail, promulgué en 2004, en a fait une journée ordinaire. Le pouvoir essaye d’effacer le souvenir du 7-Avril. Depuis l’arrivée au pouvoir de Sadyr Japarov, en 2021, la vie politique a perdu toute sa substance, la presse d’opposition est à nouveau persécutée. La république parlementaire a été transformée en une république présidentielle autoritaire. Le pouvoir favorise un cercle étroit autour du président. Lequel se félicite que le Kirghizistan compte « cinq ou six milliardaires en dollars et environ 200 millionnaires ». Le régime de Japarov ressemble totalement à celui de Bakiev, renversé le 7 avril 2010. Comme ce dernier, le président actuel a placé tous les membres de sa famille à des postes clés du pouvoir et de l’économie. Le Kirghizistan est devenu la république d’Asie centrale la plus proche du régime de Poutine, érigé en modèle par Japarov.
On comprend qu’il soit aujourd’hui malvenu de commémorer de manière trop appuyée une révolution que le pouvoir souhaite faire oublier, de crainte d’en susciter une autre. Mais la société kirghize a-t-elle les ressorts suffisants pour à nouveau renverser une dictature ?
Un article de l'Almanach international des éditions BiblioMonde, 6 avril 2025
Le 7 avril 2010, les manifestants prennent le Parlement