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12 février : il y a 35 ans les émeutes de Douchanbé
Cet événement, un peu oublié aujourd’hui est un des soubresauts qui ont accompagné le démantèlement partiel de l’empire colonial russe en 1990-1991. Bien avant les réseaux sociaux, l’origine de ces émeutes est un exercice de désinformation digne du savoir-faire russe en la matière.
Cet événement, un peu oublié aujourd’hui est un des soubresauts qui ont accompagné le démantèlement partiel de l’empire colonial russe en 1990-1991. Mais l’affaire fut bien plus confuse qu’à Vilnius ou Bakou.
Le 12 février 1990, plusieurs milliers de personnes ont commencé à affluer vers la place Lénine à Douchanbé (capitale de la république soviétique du Tadjikistan). Ils exigeaient une répartition équitable des appartements à Douchanbé, mais le soir même, leurs slogans s'étaient transformés en « À bas Makhkamov ! » (le premier secrétaire du Comité central du Parti communiste du Tadjikistan). N'ayant reçu aucune réponse, les gens ont commencé à prendre d'assaut le bâtiment du Comité central. Des tireurs d'élite du KGB ont tiré sur un groupe de manifestants tuant plusieurs personnes. La foule en colère, se dispersant dans toute la ville, commença à tout détruire sur son passage. Pris de panique, les dirigeants de la République ont accepté de démissionner. Deux jours plus tard, l’armée soviétique appelée en renfort reprenait le contrôle de capitale tadjike. Suite à ces émeutes, 25 personnes ont été tuées et 565 blessées.
Les dernières années de l’existence de l’URSS (qui disparaît en décembre 1991) furent chaotiques voire sanglantes pour plusieurs républiques composant l’URSS. D'avril 1989 à janvier 1991, des troupes de l'armée soviétique et du groupe spécial Alpha du KGB ont été introduites dans cinq capitales : Tbilissi, Bakou, Douchanbé, Riga et Vilnius.
L’origine de ces émeutes est un exercice de désinformation digne de ce qui s’est toujours pratiqué en Russie et dans l’espace colonial russe. Suite au pogrom anti-arménien de Soumgaït en Azerbaïdjan, en 1988, le Tadjikistan a accueilli quelques dizaines de familles arméniennes. La plupart ont trouvé refuge chez des proches, certaines même n’ont fait que transiter par Douchambé avant de s’installer en Arménie. Le bruit pourtant a couru qu’elle avait été prioritaire pour l’attribution d’appartements alors que beaucoup de Tadjiks étaient sur des listes d’attente depuis des années. En même temps, des rumeurs se répandent à Douchanbé selon lesquelles le chauffeur du premier secrétaire du PC, Kakhhor Makhkamov est arménien, et que l'épouse du président du Présidium du Conseil suprême de la République Goibnazar Pallaev, est arménienne, ce qui correspondait à la réalité, mais sans lien avec l’accueil des quelques familles arméniennes. En surestimant le nombre de réfugiés arméniens, 2000, 5000 et même parfois 20 000, les rumeurs distillées en ville ont été habilement utilisées contre les dirigeants de la république. Ces derniers ont commencé à être accusés de se soucier davantage des Arméniens que de leurs compatriotes tadjiks. Il était important pour le KGB de discréditer des dirigeants qui s’étaient rapprochés des nationalistes Tadjiks et de monter la population contre le parti Rastokhez, un parti d’opposition fondé en 1989 qui menaçait l’hégémonie du Parti communiste local.
En effet, Kakhhor Makhkamov était arrivé à la tête du PC du Tadjikistan (autrement dit, au pouvoir dans ce régime à parti unique) en 1985, en évinçant Rahmon Nabiev, accusé de corruption et d’alcoolisme. Pendant le règne de Mahkamov, le Tadjikistan connut une montée du nationalisme, qui culmina avec l'adoption de la « loi linguistique » de 1989 qui désigna le tadjik comme langue officielle de la république, ce qui mécontenta fortement les Russes et autres non Tadjiks. La chute de Mahkamov à la suite des émeutes de février 1990 a permis le retour en grâce de Rahmon Nabiev, réputé proche des Russes, et le renforcement des communistes pro-russes au soviet (assemblée) local. Nabiev deviendra en 1991 président du Tadjikistan.
Sur moment, l’émotion était forte, en 1992, par décret du président Rakhmon Nabiyev, la place où des manifestants ont été abattus, a été rebaptisée Shahidon (place des Martyrs). Un obélisque a été érigé entre le palais présidentiel et le salon de thé Rohat en mémoire des victimes du 12 février 1990. Ce jour est devenu un jour de deuil dans la république. Mais au début du nouveau millénaire, ce jour de deuil officiel a disparu sans laisser de trace. Il faut dire que Makhkamov a été réhabilité au début des années 2000 sur ordre du président Emomali Rahmon (le successeur de Nabiyev). Makhkamov a retrouvé sa place à l’Assemblée nationale, dont il a été le doyen jusqu’à son décès en 2016. Les émeutes de Douchambés et leurs victimes ne sont plus commémorées officiellement, mais sont restées dans les mémoires des habitants de Douchambé (ou Douchanbé), en particulier celle des familles des victimes.
Un article de l'Almanach international des éditions BiblioMonde, 11 février 2025
Véhicules blindés face aux manifestants dans la perspective Lénine à Douchamabé, le 14 février 1990 (photo Vladimir Fedorenko, Novotsi)