La guerre entre l'Algérie et le Maroc ?
Hier Alger affirmait que trois Algériens ont été tués par des tirs de l’armée marocaine sur une route du Sahara occidental proche de la frontière mauritanienne. Le convoi de camions se trouvait à l’arrêt entre les localités d’Ain Ben Tili et de Bir Lahlou, un segment contrôlé par le Front Polisario. Venant de Tindouf, en Algérie, ils roulaient donc à l’est du « mur de sable » qui sépare la partie du Sahara occidental occupé par le Maroc de celle que contrôle le Front Polisario, une force militaire sahraouie, soutenue par l’Algérie.
La Maroc dément, la Mauritanie n’a rien vu et l’Algérie se déchaîne contre Rabat. L’affaire pourrait dégénérer. Les relations diplomatiques sont déjà rompues depuis le 24 août dernier. L’Algérie a coupé le contact avec son voisin après que l’ambassadeur du Maroc à l’ONU eut déclaré que “le vaillant peuple kabyle mérite, plus que tout autre, de jouir pleinement de son droit à l’autodétermination”. La sortie était une réponse à l’activisme d’Alger en faveur du droit des Saharouis. Va-t-on s’en tenir à une guerre d’invectives ?
Depuis les indépendances, la tension n’est jamais descendue entre les deux capitales. Cas figure rarissime dans le monde : leur frontière commune est fermée depuis 1994. Algérie et Maroc se sont affrontés militairement en 1963, lors de la « guerre des sables ». C’est le contrôle du Sahara qui est la cause de cet éternel conflit qui ruine les deux pays. Le Maroc s’est senti lésé lors de l’indépendance de l’Algérie, la France ayant cédé à ce pays la totalité du Sahara qu’elle contrôlait. En contrepartie, le Maroc s’est dédommagé en occupant le Sahara espagnol (la Marche verte en 1975), avant même que Madrid ne se retire de ce territoire. Le droit international n’a pas été respecté et Alger n’a jamais accepté cette occupation. Depuis, l’Algérie arme une partie des populations sahraouie, réfugiée à Tindouf, pour qu’elle résiste aux forces marocaines. Le Mur de sable et la présence de casques bleus ont permis un cessez-le-feu en 1991.
Depuis 30 ans, le conflit territorial est gelé et le Maroc occupe l’essentiel du territoire contesté et engrange des succès diplomatiques. Le dernier en date est le « deal » de Donald Trump scellé le 10 décembre 2020 entre le Maroc et les États-Unis, aux termes duquel Washington a reconnu la « marocanité » du Sahara occidental, en échange de la normalisation des relations entre le Maroc et Israël. Aux yeux d’Alger, une ligne rouge avait été franchie. Depuis la tension a monté d’un cran… Les deux régimes autoritaires, politiquement contestés, pourraient bien s’offrir un conflit armé pour activer la fibre patriotique et faire taire toute contestation démocratique.
BT
Pour un point sur les relations entre ces deux États, lire : Géopolitique de l’Algérie ainsi que Géopolitique du Maroc deux ouvrages de Kader Abderrahim
Démonstration de force algérienne à la frontière marocaine
Au début de cette semaine l’Algérie a opéré de spectaculaires manœuvres militaires dans la région de Tindouf. Un territoire revendiqué par le Maroc et qui abrite d’importantes populations sahraouies auxquelles Alger a donné refuge après l’occupation du Sahara occidental par l’armée marocaine en 1975. L’Algérie qui dispose, de loin, de l’armée la plus importante de la région, entend maintenir la pression sur un conflit vieux de 45 ans.
Les autorités algériennes sont à cran depuis le deal opéré par le Maroc à la fin de l’année dernière : le roi du Maroc, sans consulter son peuple, a réussi un coup de maître diplomatique. Le rétablissement des relations diplomatiques entre le Maroc et Israël, lui a valu en retour, la reconnaissance par les États-Unis de la souveraineté du Maroc sur la portion du Sahara qu’il occupe dans reconnaissance internationale. Ce qui a été qualifié de « deal du siècle pour le Maroc » a bien sûr été parrainé par le président Trump. Une volte face risquée politiquement car l’opinion publique marocaine a du mal à admettre cet abandon de la cause palestinienne contre un soutien américain dans le dossier du Sahara.
Une opération dangereuse également car elle a provoqué les foudres de la principale puissance militaire de la région, le voisin algérien. D’autant, qu’une évolution politique majeure s’est opérée discrètement le 1er novembre dernier en Algérie. Le fameux référendum sur une nouvelle constitution, organisée par le gouvernement algérien pour conforter son pouvoir n’a été analysée qu’en matière de politique intérieure. Ce fut en effet un demi échec pour Alger tant la participation a été faible. Cette constitution n’offrait pas les réforme politiques attendues par le peuple algérien, mais elle contenait néanmoins une évolution majeure : pour la première fois depuis 1962, la loi fondamentale autorise « l’envoi d’unités de l’armée nationale populaire à l’étranger » (article 91 de la nouvelle constitution). Jusque-là, la constitution n’autorisait pas l’armée algérienne à opérer hors de ses frontières. Sans la moindre médiatisation, l’Algérie abandonne sa tradition non-interventionniste qui était la marque de fabrique de la diplomatie algérienne depuis l’indépendance du pays.
Certes, cette inflexion doctrinale est surtout motivée par ce qui se passe depuis quelques années à sa frontière orientale, en Libye et sur son flanc méridional, au Sahel, et des dangers que cela représente pour l’Algérie à qui on a reproché de ne pas s’impliquer plus dans la stabilisation de la région. Mais cette nouvelle donne géostratégique va inévitablement peser dans le conflit latent qui l’oppose au Maroc à sa frontière occidentale. Les manœuvres aéroterrestres, assorties d’exercices tactiques à tirs réels de missiles, dont les images ont été complaisamment diffusées par la télévision publique algérienne depuis dimanche, sont là pour en convaincre les observateurs de tous bords.
Pour un point sur la situation de l’Algérie, lire : Géopolitique de l’Algérie de Kader A. Abderrahim
Janvier 2020 - Le Maroc avance ses pions au Sahara occidental
Par une loi du 22 janvier 2020, le Maroc établit sa souveraineté sur l’espace maritime situé entre Tanger et Lagouira, autrement dit du détroit de Gibraltar à la frontière mauritanienne. Cette loi permet au royaume d’être fidèle à un accord signé en 2019, avec l’UE sur les échanges agricoles et halieutiques incluant le Sahara occidental. Le sort de ce territoire n’est pourtant pas réglé. L’ONU le classe toujours parmi les « territoires non autonomes » et le Front Polisario a lancé un recours contre l’UE. Affaire à suivre… même si depuis 1975, la politique du fait accompli qui a toujours été celle du Maroc, a finalement été payante.
Pour bien affirmer sa souveraineté sur ce territoire que le Maroc contrôle réellement et en très grande partie,Rabat a choisi d’accueillir à Laayoune (Sahara occidental) la CAN 2020 de futsal (sorte de football en salle). La compétition est programmée du 28 janvier au 7 février 2020. On s’en doute, l’Algérie qui parraine l’action des Sahraouis depuis 1975, est furieuse.
Pour en savoir plus sur le dossier du Sahara occidental, lire la Géopolitique du Maroc par Kader A. Abderrrahim
La Maroc célèbre sa Marche verte, l'acte de conquête de son Sahara
Pour la 44e fois, comme à chaque 6 novembre, le roi prononce un discours à l’occasion de l’anniversaire de la Marche verte, célébrée comme une étape marquante de l'histoire du royaume. Pour s’imposer sur le Sahara occidental dont le colonisateur espagnol était en train de se retirer, le roi Hassan II avait organisé un coup de force pacifiste : le déferlement sur ce territoire de quelque 350 000 civils, sans armes, le 6 novembre 1975. Le territoire demeure contesté au regarde du droit international, mais peu à peu la stratégie marocaine s’avère gagnante. Ce 6 novembre, son fils et successeur, le roi Mohammed VI s’est félicité que 163 États ne reconnaissent pas la RASD et que les accords d’associations du royaume avec ses partenaires consacrent pleinement la présence du Maroc au Sahara. La teneur de la résolution 2492, adoptée le 30 octobre 2019 par le Conseil de sécurité par 13 voix pour et les abstentions de l’Afrique du sud et de la Russie. Un texte accueilli avec une grande déception en Algérie et dans les rangs du Polisario.
En effet, le coup de bluff a formidablement réussi : le territoire est aujourd’hui intégré au royaume du Maroc, au moins officieusement, et plus le temps passe plus s’amenuise le risque que cette annexion unilatérale soit remise en question. Mais, quel coût ! Depuis plusieurs décennies l’économie du Maroc entretient à grand frais des forces d’occupation et des transferts massifs d’argents destinés à acheter la paix sociale sur le territoire. Quel coût politique aussi ! Puisque que cet argument patriotique a permis à la monarchie d’établir un régime autoritaire qui n’a connu que de récents aménagements à la faveur du printemps arabe.
Pour en savoir plus sur ce pays, lire : Géopolitique du Maroc de Kader Abderrahim
Nouvel accord de pêche Maroc-UE incluant le Sahara occidental
Cet accord de pêche UE-Maroc signé le 12 février 2019 permet aux navires de 11 États de l'UE d'accéder à la « zone de pêche marocaine » en échange d'une contribution économique. Cette zone comprend les eaux adjacentes du Sahara occidental où se font plus de 90% des captures de la flotte européenne.
L’accord précédent avait été invalidé par la justice européenne en avril 2018, sous prétexte qu’il ne prenait pas en compte le Sahara occidental. Selon la diplomatie marocaine, cet accord confirme que le Maroc est « le seul habilité juridiquement, dans le cadre de l’exercice de sa souveraineté, à négocier et signer des accords incluant le Sahara Marocain ».
Le Front Polisario « considéré comme le représentant du peuple du Sahara occidental par les Nations unies et partie au processus de paix, n'a pas souhaité participer à la consultation », a fait part de son « opposition de principe » au cours de discussions techniques. Les Européens optant pour une position pragmatique, plus que juridique, n’en ont pas tenu compte.
Lire la Géopolitique du Maroc par Kader A. Abderrrahim